La Liberté

Le pape François dit ni oui ni non au préservatif

Eglise et préservatif • Certains y voient une ouverture, d’autres estiment que le pape François a esquivé la question, d’autres encore jugent que la position de l’Eglise reste inchangée, ou bien notent une irritation du pape. En bref, la presse n’est pas unanime sur l’interprétation des paroles du pontife quant à l’utilisation du préservatif pour éviter la propagation du virus du sida.

Cath.ch

Publié le 01.12.2015

Temps de lecture estimé : 7 minutes

Au lendemain de la conférence de presse que le pape François a accordée aux journalistes présents à bord de l’avion papal de retour d'Afrique, les interprétations vont bon train, mais pas forcément à l’unisson. Si beaucoup retiennent le terme de «perplexité» employé par le pontife pour parler de l’attitude de l’Eglise catholique devant cette question, l’Agence France Presse (AFP) juge par exemple que le pape n’a pas soutenu l’usage du préservatif, tout en relevant que «le pontife argentin s’est montré mécontent et s’est refusé à répondre directement».

Beaucoup notent ainsi le mécontentement, voire l’irritation du pape, comme l’agence Associated Press (AP): «Le pape François a refusé de répondre directement (…), déclarant qu’il existait des problèmes plus importants comme la malnutrition, le manque d’eau potable et la surexploitation des ressources. La question a irrité le souverain pontife».

Pour le quotidien britannique «The Guardian», le pape, clairement agacé, a exprimé peu d’intérêt et a esquivé la question. Le pape François, rappelle le quotidien, «ne veut pas être entraîné dans des questions de guerre de culture sur la contraception ou l’avortement».

Le préservatif comme une méthode de lutte

Le média italien «Giornalettismo» retient pour sa part que le pape François a reconnu le préservatif comme une méthode de lutte : «Oui, c’est l’une des méthodes», a en effet déclaré le pontife. Une phrase «qui pourrait marquer une des ouvertures les plus concrètes de l’Eglise sur la morale sexuelle», peut-on lire sur le quotidien en ligne.

En France, «Le Monde» voit «une timide ouverture» du chef de l’Eglise catholique, mais constate aussi que «ses propos (…) pourraient être source de controverses tant ils sont touffus». Le quotidien décrypte mot à mot la réponse: «Il a commencé par contester l’angle de la question, ‘trop étroite et partiale’. Puis il s’est employé à relativiser la pertinence d’une discussion juridico-théologique sur le préservatif. (…) Il a ensuite expliqué pourquoi ce débat est à ses yeux secondaire». Une réponse obscure, ajoute Le Monde, qui s’insère dans sa conception de l’Eglise où «l’urgence ce sont les inégalités et les divers fléaux» et non pas «s’appesantir pour savoir si l’usage du préservatif comme moyen d’éviter des contaminations contrevient ou non à l’enseignement catholique».

Ces diverses lectures des propos du pape s’expliquent de fait par la prudence de sa réponse, typiquement ‘jésuite’ et alambiquée. Qui plus est, le pape François a eu recours à un parallèle avec un texte de l’Evangile, délicat à comprendre sans références bibliques.

Benoît XVI avait été beaucoup plus clair, quitte à choquer

Si le pape François suscite donc quelques interrogations, il n’en fut pas de même pour son prédécesseur, Benoît XVI, qui avait déclenché en 2009 une véritable polémique - alimentée par les médias - après avoir affirmé qu’«on ne peut pas résoudre le problème du sida avec la distribution de préservatifs. Au contraire, cela augmente le problème».

L’année suivante, dans le livre d’entretiens Lumière du monde, le pape allemand avait cependant semblé nuancer ses propos. Il avait alors justifié l’utilisation du préservatif «dans certains cas, quand l’intention est de réduire le risque de contamination», en y voyant «un premier pas pour ouvrir la voie à une sexualité plus humaine». On peut pourtant voir une certaine similitude dans la réponse des deux pontifes, appelant l’un comme l’autre à élargir le champ du débat.

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Ce qu'a répondu le pape

Lors de sa traditionnelle rencontre avec les journalistes dans l’avion qui le ramenait d’Afrique, le 30 novembre 2015, le pape François a fait part de la «perplexité» de l’Eglise concernant l’usage du préservatif dans la prévention du sida. Visiblement un peu agacé et ne souhaitant pas faire de considérations «casuistiques», le pape a laissé planer le doute dans une réponse très jésuite, préférant pointer du doigt «le problème plus grand» à ses yeux de «l’injustice en ce monde».

- Le virus du Sida ravage l’Afrique. Grâce aux soins, les malades vivent plus longtemps, mais l’épidémie continue. Seulement en Ouganda, il y a eu l’an passé 135'000 nouvelles infections du virus et c’est pire au Kenya. Le Sida est actuellement la plus grande cause de mort en Afrique. Vous avez rencontré les enfants de mères séropositives et écouté un témoignage bouleversant en Ouganda, mais vous avez dit peu de choses encore sur cette question. Nous savons que la prévention est un élément clef. Nous savons aussi que le préservatif n’est pas la seule façon d’arrêter l’épidémie, mais nous savons que c’est une part importante de la réponse. Le moment n’est-il pas venu pour l’Eglise de changer de position sur cette question et de permettre l’usage du préservatif pour éviter de nouvelles infections?

François: La question me semble trop… étroite. Il me semble aussi que c’est une question partiale. Oui, c’est l’une des méthodes, et la morale de l’Eglise se trouve, sur ce point, devant une perplexité. Est-ce le 5e ou le 6e commandement? Il faut défendre la vie… le rapport sexuel doit être ouvert à la vie. Mais ce n’est pas le problème. Le problème est plus grave.

Cette question me fait penser à ce que l’on a demandé un jour à Jésus: «Dis-moi maître, est-il autorisé de guérir le jour du Sabbat?» Il est obligatoire de guérir! Cette question posée ainsi pour savoir s’il est licite de guérir… mais la malnutrition, l’exploitation des personnes, le travail qui rend esclave, le manque d’eau potable, ça ce sont des problèmes! Ne nous demandons pas si on peut utiliser ce pansement ou tel autre pour guérir une petite blessure.

La grande blessure: c’est l’injustice sociale, l’injustice de l’environnement, l’injustice de l’exploitation et de la malnutrition dont j’ai déjà parlé. Cela ne me plaît pas de descendre dans des réflexions aussi casuistiques lorsque des gens meurent par manque d’eau, (qu’ils meurent) de faim, (de problèmes) de logement.

Lorsque tous seront guéris, lorsqu’il n’y aura plus ces maladies tragiques provoquées par l’homme, que ce soit par injustice sociale ou pour gagner plus d’argent - il suffit de penser au trafic des armes -, lorsqu’il n’y aura plus ces problèmes, je crois que l’on pourra se poser la question: est-il licite de guérir le jour du Sabbat? Pourquoi continue-t-on à fabriquer les armes, à faire du trafic d’armes? Les guerres sont le plus grand motif de mortalité. Je dirai à l’humanité: «faites justice», et lorsque tous seront guéris, lorsqu’il n’y aura plus d’injustice en ce monde, nous pourrons parler du Sabbat.

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