La Liberté

Le petit réfugié devenu Ballon d’or

Le Croate Luka Modric a été sacré hier à Paris. Le joueur du Real Madrid a réalisé une année pleine

Publié le 04.12.2018

Temps de lecture estimé : 5 minutes

Football » La route jusqu’au Ballon d’or fut longue pour Luka Modric, enfant réfugié de la guerre d’indépendance de la Croatie, couronné meilleur joueur de la planète. Héros dans son pays, Modric a été récompensé pour le rôle primordial qu’il a joué pour amener les Croates en finale de la Coupe du monde (perdue face à la France 4-2) et le Real Madrid vers son troisième titre consécutif en Ligue des champions.

«2018 c’est l’année de tous mes rêves. C’est un immense plaisir et un véritable honneur de faire partie de ce groupe de grands joueurs qui ont gagné ce prix. (…) Mes parents ont tout sacrifié pour moi quand j’étais enfant. C’est grâce à eux que je suis là ce soir», a-t-il déclaré en recevant son Ballon d’or au Grand Palais à Paris.

Des ruines calcinées

Le chemin de Modric, 33 ans, avait pourtant commencé bien loin de là, sur les pentes du massif de Velebit qui surplombe l’Adriatique, où ne restent aujourd’hui que les ruines calcinées d’une maison du village de Modrici. C’était le gîte de son grand-père, un autre Luka Modric, tué par les forces serbes dans les premiers mois de ce conflit (1991-1995) qui devait faire quelque 20 000 morts. Tout près, un panneau sur lequel on peut lire: «Danger! Mines!» rappelle ce passé.

Alors âgé de six ans, Luka Modric fuit avec sa famille à 40 km, dans la ville côtière de Zadar. C’est là, dans le fracas des bombes qui s’abattent sur le petit port, que va éclore l’un des plus grands talents contemporains du football européen. «J’avais entendu parler d’un petit garçon hyperactif qui, dans un couloir d’hôtel, ne cessait de taper dans un ballon et dormait avec», se souvient Josip Bajlo, alors entraîneur de l’équipe du NK Zadar.

Un leader, un chouchou

Le talent du garçon apparaît comme une évidence: «Il était une idole pour ceux de sa génération, un leader, un chouchou. Les enfants voyaient déjà en lui ce que nous voyons aujourd’hui», poursuit l’entraîneur de 74 ans. Le phénomène éclot dans une ambiance terrifiante: «C’est arrivé des millions de fois que les bombes se mettent à tomber alors que nous allions à l’entraînement, nous forçant à courir vers les abris», se souvient Marijan Buljat, un camarade de Luka Modric.

Lui-même ancien professionnel, Buljat, 36 ans, est convaincu qu’en lui forgeant une grande force de caractère, les rigueurs de cette période furent «un des facteurs qui ont contribué (…) à ce qu’il devienne un des meilleurs joueurs du monde». ats


 

CLASSEMENT

Ballon d’or 2018: 1. Luka Modric (Real Madrid/CRO). 2. Cristiano Ronaldo (Real Madrid/Juventus Turin/POR). 3. Antoine Griezmann (Atletico Madrid/FRA). 4. Kylian Mbappé (Paris SG/FRA). 5. Lionel Messi (Barcelone/ARG). 6. Mohamed Salah (Liverpool/EGY). 7. Raphaël Varane (Real Madrid/FRA). 8. Eden Hazard (Chelsea/BEL). 9. Kevin De Bruyne (Manchester City/BEL). 10. Harry Kane (Tottenham/ANG).


 

COMMENTAIRE

Un vote rassurant pour le football

Il mesure 1 m 72, il pèse 66 kg. Il n’est pas très grand, il ne paie pas franchement de mine. Il ne passe pas chaque semaine chez le coiffeur. Ses avant-bras et ses cuisses ne portent pas de tatouages… Luka Modric, c’est bien de lui qu’il s’agit, est le Ballon d’or 2018. Ainsi en a décidé le vote des 180 journalistes issus du monde entier. Et, on peut le dire: il s’agit d’un bon vote. Un vote, surtout, rassurant dans le sens où il tranche avec ce que le football devient: bling-bling, mercantile, superficiel. La cérémonie de remise des trophées organisée hier soir à Paris en a d’ailleurs été l’exemple le plus patent: nœuds papillons, smokings, robes longues, bijoux… Autant de signes extérieurs de richesse bien loin de l’essence même du football et de ses racines implantées dans le terreau du peuple.

Dans ce milieu qui perd de vue les réalités de la vie, une personnalité telle que Luka Modric est une aubaine. Homme introverti qui, on l’a vu au moment de recevoir son trophée, préfère s’exprimer balle au pied sur un rectangle vert plutôt que micro branché face à un parterre endimanché, le Ballon d’or 2018 a ce don: celui de la simplicité. Meneur de jeu ne rechignant jamais aux tâches de l’ombre, celles défensives, il érige les vertus du collectif en lettres d’or.

Pas étonnant, dès lors, que sous sa patte avertie, le Real Madrid ait soulevé la coupe aux grandes oreilles de la Ligue des champions ces trois dernières années. Pas étonnant, non plus, que la Croatie, petit pays d’un peu plus de quatre millions d’habitants, ait atteint la finale de la Coupe du monde en juillet à Moscou. «Modric a quelque chose qui disparaît progressivement et que l’on voit de plus en plus rarement sur le terrain: l’humilité footballistique, soit que le meilleur joueur ne pense pas qu’à lui quand il est sur le terrain», a dit un jour son compatriote et ancien international Mario Stanic.

Luka Modric mesure 1 m 72, il pèse 66 kg. Luka Modric? Un grand petit homme qui, malgré la zone d’ombre liée à une accusation de faux témoignage dans le procès pour malversations de l’ex-patron du Dinamo Zagreb, Zdravko Mamic, nous réconcilie, un peu, avec le football d’aujourd’hui. Pascal Dupasquier

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