La cour des miracles pour Federer
Le Suisse a sauvé sept balles de match hier face à Sandgren et affrontera Djokovic en demi-finale
Laurent Ducret
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Tennis » La Rod Laver Arena est bien la cour des miracles pour Roger Federer. Quatre jours après la folle remontada du super tie-break devant John Millman, le N° 3 mondial a survécu à un match qu’il aurait dû perdre mille fois en quart de finale de l’Open d’Australie. Le Bâlois s’est imposé 6-3 2-6 2-6 7-6 (10/8) 6-3 après 3h31’ de jeu devant Tennys Sandgren (ATP 100) après avoir écarté… sept balles de match au quatrième set. Blessé aux adducteurs, il n’est resté sur le court que pour une seule raison: pouvoir demeurer le seul joueur à n’avoir jamais abandonné une partie en cours.
Incapable de se livrer physiquement pendant plus de deux sets, Roger Federer attendait, résigné, la balle de match victorieuse de l’Américain pour plier bagage. Mais c’était compter sans l’extrême fébrilité de Tennys Sandgren au moment de conclure et, aussi, sur cette petite flamme qui lui commandait que rien n’est jamais acquis avant le «jeu, set et match» prononcé par l’arbitre.
Ne pas parler de blessure
Le Suisse est parfaitement conscient qu’il est revenu de nulle part hier à Melbourne: «Ce quart de finale contre Tennys Sandgren figure dans mon top 5 des victoires miraculeuses! Réussir un tel renversement dans un tournoi du grand chelem est magnifique. La défaite en finale du dernier Wimbledon contre Novak Djokovic avait été très cruelle. Avec ce succès ce soir, on constate que les choses peuvent aussi tourner de mon côté.»
Touché aux adducteurs dès le deuxième set, le Bâlois est resté sur le court parce qu’il était «sûr de ne pas aggraver cette blessure». «Mais non, je ne veux pas parler de blessure, mais plutôt de douleur, dit-il. J’ai cherché à jouer avec moins d’explosivité pour diminuer les risques. Et au fil des jeux, je me suis libéré dans la tête. A un moment donné, je me suis dit que je n’avais plus rien à perdre et que c’était à Sandgren d’aller chercher la victoire. Je me suis mis à mieux servir et à commettre moins de fautes.»
Face à Novak Djokovic
La grande question est désormais de savoir si Roger Federer sera d’attaque pour sa demi-finale de demain soir face à Novak Djokovic. «Je me donne une chance de jouer correctement cette demi-finale, lance-t-il. J’ai deux jours pour récupérer. L’une de mes grandes forces a toujours été de voir le côté positif des choses. Je verrai mercredi matin (aujourd’hui, ndlr) à mon réveil comment je me sens. Je vais parler aux docteurs, ici à Melbourne et en Suisse. On verra bien si je dois me soumettre à une IRM.»
Malgré son âge, la valeur de l’opposition à laquelle il sera confronté et ces adducteurs qui sifflent, Roger Federer veut toujours croire en son étoile à Melbourne. «J’ai survécu aux deux rencontres contre John Millman et contre Tennys Sandgren. Après avoir livré de tels matches, on se dit que tout est vraiment possible. Oui, j’y crois! J’y croirai tant que je n’aurai pas serré la main d’un adversaire qui gagnera une balle de match contre moi.»
«Je sais que je peux battre Novak Djokovic jeudi soir, si je joue mon jeu, affirme-t-il avec force. J’y suis parvenu en novembre dernier au Masters de Londres. Il est toujours utile de rappeler qu’à mon âge, je peux gagner des tournois et que je peux m’imposer contre les meilleurs joueurs du monde. Mais je sais aussi que le défi est plus grand ici à Melbourne.» Pas grand, mais immense. ATS
Les résultats
Melbourne. Open d’Australie. 1er tournoi du grand chelem (47,55 millions de francs/dur). Quarts de finale du simple messieurs: Roger Federer (SUI/3) bat Tennys Sandgren (USA) 6-3 2-6 2-6 7-6 (10/8) 6-3. Novak Djokovic (SRB/2) bat Milos Raonic (CRO/32) 6-4 6-3 7-6 (7/1).
Quarts de finale du simple dames: Ashleigh Barty (AUS/1) bat Petra Kvitova (CZE/7) 7-6 (8/6) 6-2. Sofia Kenin (USA/14) bat Ons Jabeur (TUN) 6-4 6-4.
COMMENTAIRE
Suicide psychologique
Bien sûr, ce n’est que du sport. Un jeu. Mais le sport est son métier et nul ne sait à quel point Tennys Sandgren est, aujourd’hui encore, un joueur de tennis dévasté. Pour qui, comme l’Américain, n’a pas l’habitude des courts principaux, affronter Roger Federer est une gageure, quand c’est la première fois qui plus est. Mais avoir le «Maître» dans la paume de sa main sans réussir à refermer ses doigts relève du suicide psychologique.
A Roger Federer, touché aux adducteurs, la douleur physique, à Tennys Sandgren les maux de crâne. Les dommages collatéraux à ce quart de finale de l’Open d’Australie sont d’autant plus violents que ce n’est pas le Bâlois qui a gagné, mais bien son adversaire qui a perdu. Privilège des plus grands qui ont tout vu, tout connu, Roger Federer a continué de mouiller le maillot en espérant que le «petit» humidifie son short à son tour, mais pour d’autres raisons. Plus que sept balles de match ratées, n’est-ce pas de savoir que quelqu’un a osé spéculer sur votre propre trouille qui fait le plus mal?
«J’allais craquer et il le savait»: depuis hier, Tennys Sandgren est encore plus bas que terre. Il se relèvera, comme Roger Federer a fini par mettre de côté cette finale de Wimbledon qu’il aurait dû remporter, l’an passé. Le cerveau humain n’oublie jamais rien, mais les résilients sont toujours récompensés. Plus de six mois après son crève-cœur londonien, n’est-ce pas un double miraculé qui affrontera Novak Djokovic, demain? Pierre Salinas