La Liberté

Roger Federer et le temps qui passe

Face à la fougue des jeunes loups, le Bâlois semble avoir toujours plus de peine à trouver la solution

Julien Pralong

Publié le 18.11.2019

Temps de lecture estimé : 8 minutes

Masters » A 38 ans, Roger Federer continue de faire partie du gotha mondial. Troisième à l’ATP, vainqueur de quatre titres (dont son 100e) et de plus de 50 matches en 2019, encore en forme et toujours protégé par la magie de sa main, le Bâlois semble défier le temps.

Enfin, jusqu’à un certain point. Et la défaite du «Maître» 6-3 6-4 contre Stefanos Tsitsipas (ATP 6) samedi en demi-finale du Masters est venue le rappeler. «Je n’ai pas d’explication», a répondu Federer quand on lui a demandé pourquoi il y avait de telles variations dans ses performances, d’un jour à l’autre. Pour le Bâlois, les spécificités du jeu en indoor ne requièrent pas «de trop fouiller», d’infimes détails faisant de grandes différences.

Mais est-ce bien là la seule raison à cette défaite, face au même adversaire qui l’avait battu en 8e de finale de l’Open d’Australie? A Melbourne, Federer n’avait converti aucune de ses douze balles de break. Samedi une seule sur douze… Comme si, face à la fougue et la cadence imposée par les jeunes loups, le Bâlois peinait de plus en plus à trouver des solutions.

6-6 contre le Top 10

Bien sûr, avec quatre titres remportés, le Suisse est toujours assis à la table des puissants (seuls Thiem et Djokovic ont fait mieux cette année). Toutefois, un seul de ces quatre titres a été conquis en Masters 1000 (Miami), les trois autres l’ayant été sur le front des ATP 500 (Dubai, Halle et Bâle). Et le bilan annuel face aux membres du Top 10 laisse songeur: six victoires pour autant de défaites.

Dans le détail, Federer n’a réussi qu’à deux reprises cette saison à battre deux Top 10 dans le même tournoi (hors Masters, bien sûr). C’était d’abord à Miami, et encore, les deux victimes en question n’étaient «que» Kevin Anderson et, en finale, John Isner. Il n’y a guère qu’à Wimbledon où Federer a réussi à enchaîner trois immenses performances de suite, sortant Nishikori puis Nadal avant de perdre face à Djokovic, une finale qu’il devait gagner (deux balles de match sur son service). «Wimbledon, c’est clairement à la fois le highlight et la plus grande déception de l’année», résume le Suisse.

Il y a bien comme un glissement, inévitable, sur la pente du temps qui file. Pas une dégringolade subite et spectaculaire, car Roger Federer demeure capable de battre n’importe qui sur le circuit. Mais à condition que toutes les conditions soient réunies et que les astres s’alignent. Cette dépendance aux éléments qui gagne en importance, est certainement le prix à payer pour cette longévité hors normes.

«Ils peuvent y arriver»

Le «Maître» le sait bien et sent que la nouvelle vague des Thiem, Zverev, Tsitsipas ou Medvedev, contrairement aux décevants pseudos successeurs (auto)proclamés des dernières années, ont les moyens de renverser la table. Y compris en grand chelem. «Oui, cette question revient chaque année. Peut-être que leurs chances augmentent, bien que, à ce que je constate, Rafa, Novak et moi sommes encore en bonne santé. Mais nous ne rajeunissons pas et les jeunes, eux, deviennent de plus en plus forts. Ils doivent franchir ce cap maintenant. Thiem est par exemple dans les plus belles années de sa carrière alors oui, je crois qu’ils peuvent y arriver en 2020.»

Une année qui verra Federer à nouveau privilégier l’écoute de son corps et chercher, en permanence, «un équilibre entre carrière et vie privée». Avec, bien entendu, les tournois du grand chelem comme priorité et, probablement aussi, les JO de Tokyo. Pour y arracher une médaille d’or en simple qui manque à ce palmarès gargantuesque.

«Je suis heureux de ma saison et me réjouis de la prochaine», conclut un «Maître» qui, s’il aura de la peine à aller chercher le record de titres de Jimmy Connors (avec 103, il lui en manque encore six pour l’égaler), peut toutefois battre celui du nombre de matches gagnés en carrière, également détenu par l’Américain avec 1274, soit 37 de plus que le Bâlois. ATS


COMMENTAIRE

Roger Federer est son premier adversaire

En 21 ans de carrière, combien d’adversaires a vu défiler Roger Federer? Pete Sampras n’en était pas un, même si c’est un peu à cause du Bâlois et de sa victoire surprise à Wimbledon en 2001 que l’idole américaine a rangé sa raquette. Marat Safin aurait pu lui mener la vie dure aussi, mais le Russe a arrêté trop tôt, alors qu’Andy Roddick et Lleyton Hewitt n’avaient pas assez de leur détermination pour déboulonner la statue.

Sinon la fin, la suite de l’histoire est connue: l’avènement de Rafael Nadal, sans lequel Roger Federer n’aurait pas assis sa légende, la retraite, à son tour, d’Andre Agassi, les éclosions de Novak Djokovic et Andy Murray avec, en filigrane, l’improbable destin de Stan Wawrinka. La liste est non exhaustive puisqu’il est un rival que la saison qui s’achève a créé bien malgré lui et bien malgré elle: Roger Federer en personne. L’homme est un loup pour l’homme. A 38 ans, Roger Federer est le plus grand danger pour Roger Federer. Non, le moment n’est pas venu d’écrire que l’ancien No 1 mondial est capable du pire comme du meilleur. Mais force est de constater qu’il alterne le sublime avec le moins bon. Jeudi au Masters de Londres, le «Maître» a ébloui l’O2 Arena, de laquelle Novak Djokovic est sorti aveugle et désemparé. Deux jours plus tard, face à un Stefanos Tsitsipas solide, rien de plus, jamais au contraire il n’a quitté la pénombre dans laquelle 27 fautes directes et un service méconnaissable l’avaient plongé.

Identifier les points clés est une chose. Trouver le relâchement pour les appréhender sans en avoir peur en est une autre. Si l’âge n’a pas d’emprise sur son amour du jeu, le temps qui passe n’hésite plus à vampiriser son cerveau et à scléroser sa main, qui tremble ou se précipite lors des moments dits importants. La finale de Wimbledon, qu’il a perdue après s’être vu gagner, en est le plus douloureux exemple, la demi-finale de samedi, où il n’a converti qu’une balle de break sur douze, une cruelle confirmation.

2020 arrive et en 2020 encore, gageons que Roger Federer fera du Roger Federer: il produira des coups inouïs et continuera peut-être à en inventer d’autres. Mais en 2020 aussi, il devra se battre avec sa propre inconstance, résurgence des démons du passé, plus qu’avec la nouvelle génération qui déboule. Pour de vrai cette fois-ci. PIERRE SALINAS


Tsitsipas remporte le Masters

Septième néophyte de l’histoire à enlever le Masters, Stefanos Tsitsipas a pris date à Londres. Le Grec de 21 ans est appelé à étoffer très vite son palmarès ces prochains mois. Au lendemain de son succès 6-3 6-4 en demi-finale devant Roger Federer, Stefanos Tsitsipas s’est imposé 6-7 (6/8) 6-2 7-6 (7/4) devant Dominic Thiem pour cueillir, bien sûr, le plus grand titre d’une carrière qui s’annonce magnifique.

Plus fort physiquement, Stefanos Tsitsipas a eu l’immense mérite de rebondir parfaitement après la perte d’un premier set qu’il avait pourtant dominé aux points. Il a su, également, conserver une très grande maîtrise nerveuse dans le troisième set, qui l’a vu réussir le premier break et mener aussi 4/1 dans le jeu décisif avant que son adversaire ne recolle les deux fois au score. Mais à 4/4, Dominic Thiem devait commettre une erreur fatale en coup droit pour ouvrir à nouveau la porte à son adversaire. Cette fois, Stefanos Tsitsipas ne laissait pas passer l’occasion remporter cette finale.

«Bourreau» déjà de Roger Federer à Melbourne, où il s’était hissé dans le dernier carré pour lancer parfaitement son année, Stefanos Tsitsipas a été vraiment l’homme fort de ce Masters. Victorieux de Daniil Medvedev et d’Alexander Zverev en phase de poules avant d’offrir une réplique remarquable vendredi à Rafael Nadal dans un match qui était presque sans enjeu pour lui – il était déjà qualifié pour les demi-finales –, le Grec est apparu aussi fort qu’Hercule à Londres. ATS

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