La Liberté

Berne prend les commandes

En décrétant l’état de situation extraordinaire, le Conseil fédéral devient seul maître à bord pour lutter contre l’épidémie. Les nouvelles mesures incluent la fermeture des cafés-restaurants et des commerces

Représenté par Viola Amherd, Karin Keller-Sutter, la présidente Simonetta Sommaruga et Alain Berset, le Conseil fédéral reprend la main en ce qui concerne le coronavirus.
Représenté par Viola Amherd, Karin Keller-Sutter, la présidente Simonetta Sommaruga et Alain Berset, le Conseil fédéral reprend la main en ce qui concerne le coronavirus.
L’aéroport de Marrakech hier était bondé de voyageurs en rade à cause de la décision marocaine de fermer les liaisons avec une vingtaine de pays. © DR
L’aéroport de Marrakech hier était bondé de voyageurs en rade à cause de la décision marocaine de fermer les liaisons avec une vingtaine de pays. © DR

Sevan Pearson

Publié le 17.03.2020

Temps de lecture estimé : 18 minutes

Coronavirus » «Une réaction forte s’impose à tout le pays.» C’est avec ces termes que Simonetta Sommaruga, la présidente de la Confédération, a justifié la qualification de «situation extraordinaire» que connaît la Suisse en raison de l’épidémie du coronavirus. Elle était accompagnée hier de ses collègues Alain Berset (ministre de la Santé), Karin Keller-Sutter (Justice et police) et Viola Amherd (Défense) pour détailler les mesures renforcées prises en vertu de la loi sur les épidémies.

Ces dispositions sont applicables depuis hier à minuit et jusqu’au 19 avril. Elles ont été présentées lors d’une conférence de presse retransmise en direct. Leur but: ralentir l’expansion du virus et protéger les populations vulnérables. Il s’agit également de ne pas engorger les hôpitaux qui, pour le moment, font face à la situation. Le Conseil fédéral a en outre à plusieurs reprises exhorté la population à respecter strictement les recommandations d’hygiène et de distance sociale et à ne pas «dévaliser» inutilement les magasins.

1 Commerces fermés en grande partie

Les clients des commerces non essentiels, des marchés, mais aussi des coiffeurs ou encore des salons esthétiques trouveront porte close. Cela vaut également pour les salons de massage ou les tatoueurs, par exemple.

Ne sont pas concernés les magasins d’alimentation et de biens de première nécessité. Ils restent ouverts et l’approvisionnement est assuré. «Il ne faut donc pas faire de réserves de guerre», insiste Alain Berset. De même, boulangeries et boucheries demeurent également ouvertes, tout comme les bureaux de poste, les banques, les pharmacies, les stations-service, les gares, les administrations publiques et les services du domaine social.

2Etablissements de loisirs clos

Comme toutes les manifestations publiques ou privées sont désormais interdites, les restaurants, cafés, bars, établissements de divertissement et de loisirs (musées, bibliothèques, cinémas, salles de concert, théâtres, centres sportifs, piscines et domaines skiables) sont fermés.

En revanche, les cantines d’entreprises, les services de petite restauration à l’emporter et de livraison de repas sont autorisés. Et les hôtels restent ouverts, mais leurs restaurants ne sont accessibles qu’à leurs clients. Le Valais, qui a ordonné leur fermeture, devra revenir en arrière pour se conformer aux directives de Berne.

Quant au canton de Vaud, qui autorisait encore les rassemblements de 10 personnes au maximum, il devra adopter la nouvelle réglementation fédérale, plus restrictive.

3 Santé et social moins touchés

«Les crèches ne peuvent fermer que s’il existe d’autres offres d’accueil et de remplacement adéquates», indique le Conseil fédéral. Cette mesure est valable jusqu’au 19 avril, comme pour les écoles. Les hôpitaux, cliniques et cabinets médicaux restent ouverts, mais doivent renoncer à toute intervention ou traitement non urgents.

4 Fermeture partielle des frontières

Les mesures de contrôle strict appliquées depuis vendredi à la frontière avec l’Italie seront étendues aux autres Etats voisins. Désormais ne peuvent pénétrer en Suisse que les citoyens helvétiques et les personnes au bénéfice d’un permis de séjour ou de travail valable. Les frontaliers peuvent continuer à venir travailler en Suisse.

«C’est une disposition importante, car sur les 180 000 frontaliers français, 30 000 sont actifs dans le domaine médical», illustre Karin Keller-Sutter. La conseillère fédérale recommande également de renoncer à tout voyage à l’étranger et aux Suisses se trouvant hors des frontières de rentrer au pays.

5 Transports publics maintenus

«Les transports publics restent en service, mais leur offre va diminuer», informe Simonetta Sommaruga. Les trains s’arrêteront désormais à la frontière et il sera impossible de poursuivre le voyage vers les pays voisins. En revanche, le trafic des marchandises est maintenu et les chauffeurs et conducteurs sont autorisés à entrer en Suisse. Les villes pourraient également réduire leur offre en transports publics, mais c’est de leur responsabilité, estime la présidente de la Confédération. En outre, le trafic sur plusieurs lignes touristiques a été interrompu, à l’exemple des trains des Rochers-de-Naye et des Pléiades (VD).

6 L’armée engagéeen renfort

Ils seront jusqu’à 8000 militaires à prêter main-forte aux cantons qui en feront la demande. Les tâches de l’armée seront de trois ordres. Tout d’abord, les troupes apporteront leur soutien au système de santé, pouvant assurer le transport de malades ou de matériel, mais également certains soins. Les quatre bataillons d’hôpital et les cinq compagnies sanitaires seront opérationnels dans un délai de quatre jours.

L’armée pourra également assurer des tâches logistiques, si nécessaire, comme le transport et le montage d’infrastructures improvisées. Enfin, les militaires pourront assister les polices cantonales (sécurité des ambassades) et les gardes-frontière. Seront mobilisées en priorité les troupes en service régulier. Mais le Conseil fédéral pourra faire appel aux recrues en cas de besoin. «La Suisse n’a pas connu une telle mobilisation depuis la Seconde Guerre mondiale», reconnaît Viola Amherd.

7 Pas de confinement strict

Contrairement à l’Italie, à l’Espagne ou à la France, la Suisse n’est pas soumise à des règles strictes de confinement. Cependant, «les personnes de plus de 65 ans doivent essayer de rester chez elles», conseille Alain Berset. «Il faut éviter au maximum les contacts. Cela a pour conséquence de limiter la vie sociale, mais c’est une question de solidarité.»

Et la présidente Simonetta Sommaruga de conclure: si les nouvelles mesures sont bien respectées, elles pourraient suffire à ralentir la propagation du virus.


Les Suisses exigent le rapatriement

Des dizaines de Suisses sont coincés depuis samedi à l’aéroport de Marrakech, au Maroc.

«Nous sommes coincées avec deux amies à l’aéroport de Marrakech depuis 3 heures du matin, mais impossible de rentrer sur Genève.» En pleurs, cette passagère suisse d’un vol Easyjet avec deux amies s’apprêtait à rentrer hier d’un séjour de vacances au Maroc. C’était compter sans la décision de Rabat prise vendredi par surprise de supprimer les liaisons aériennes avec une vingtaine de pays dès samedi, dont la Suisse, à cause du Covid-19.

Plus aucun vol au départ de Marrakech, mais aussi d’Agadir. Le ministre des Transports lui-même, Abdelkader Amara, a contracté la maladie après un voyage en Europe.

Une cinquantaine de ressortissants suisses sont actuellement bloqués dans l’aéroport marocain, où la distance de sécurité pour se préserver de l’infection est difficile à respecter. Durant le week-end, près de 20 000 ressortissants français se sont retrouvés dans l’impossibilité de rallier leur pays. Leur rapatriement est encore en cours.

«Nous voyons que les Français ont accès à des avions qui rentrent sur Paris alors qu’ils ne sont pas pleins», s’indigne la Suissesse contactée par notre journal. «On nous dit qu’on ne peut rien faire pour nous et qu’il n’y a pas de budget pour venir nous chercher. C’est l’horreur.»

Et la voyageuse de poursuivre: «Il y a des familles avec des enfants qui sont désemparées. Notre ambassade nous mène en bateau depuis trois jours. Réserver un autre vol? C’est ce que nous avons fait, mais le vol Swiss à bord duquel nous devions embarquer a aussi été supprimé!» En outre, la tentative d’acheter des billets pour un vol vers la France a échoué.

La passagère qui témoigne a l’interdiction de quitter l’aéroport et de sortir du pays par la voie terrestre. Le seul espoir qui demeure est un vol de la compagnie Swiss qui devrait partir jeudi 19 mars. Jusque-là, la voyageuse en rade et ses amies devront trouver de quoi se loger. De plus, elle ne peut avoir accès à des soins dont elle aurait urgemment besoin. «Les Marocains ne veulent pas de nous parce que nous venons d’un pays très touché par le coronavirus, ajoute-t-elle. Ils ont peur que nous apportions la maladie dans leur hôpital.»

Easyjet dit avoir contacté ses clients par courriel et SMS. «Le programme entre la Suisse et le Maroc a été impacté par l’annulation des vols avec effet immédiat», déplore la compagnie aérienne. «Les liaisons aériennes entre la France et le Maroc ont été autorisées jusqu’au 19 mars et nous sommes en train de planifier un certain nombre de vols de rapatriement.» Ces vols seront indiqués sur le site de la compagnie.

Ayant aussi des passagers à ramener au pays, Swiss indique de son côté que le dernier vol au départ de Marrakech vers Genève a eu lieu hier. La liaison est suspendue jusqu’au 29 mars. Un vol Genève-Marrakech est parti à vide pour rapatrier des passagers. Edelweiss de son côté maintient deux vols Zurich-Marrakech-Zurich aujourd’hui. Un sera assuré par un Airbus A320 (174 sièges) et le second par un Airbus A340 (314 sièges).

Le Département fédéral des affaires étrangères précise que l’ambassade de Suisse au Maroc est en contact avec les touristes suisses qui se sont inscrits sur la plate-forme Itinéris du DFAE. Elle les a informés que plusieurs vols Edelweiss au départ de Marrakech et à destination de Zurich étaient prévus. Mais le nombre de places était limité.

Pierre-André Sieber


Une décision fiévreusement attendue

Enfin! C’est ce que certains se sont dit lorsque le Conseil fédéral a déclaré la «situation extraordinaire».

Dans les milieux hospitaliers, et au sein des autorités, plus d’un acteur le dit: le gouvernement aurait dû franchir cette étape plus vite. «Nous attendions des mesures plus strictes vendredi déjà», remarque un ministre cantonal.

Pourquoi ce délai? La santé publique doit composer avec les intérêts de l’économie. Et celle-ci subit la crise de plein fouet. En augmentant les restrictions de mouvement, on accentue ses difficultés. Au final, ce sont les caisses publiques qui devront casquer en indemnisant entreprises et travailleurs. Cela rebute certains responsables plus que d’autres.

«Au sein du Conseil fédéral, certains ministres de droite ont longtemps rechigné à prendre des mesures supplémentaires», indique-t-on à Berne. Ueli Maurer (udc), ministre des Finances, aurait ainsi demandé plusieurs fois des précisions en amont, retardant le passage en «situation extraordinaire» – son département ne commente pas, invoquant la confidentialité des séances du Conseil fédéral.

L’arbitrage entre santé publique et économie n’est pas abordé de la même façon partout. «Depuis vendredi soir, de nombreux politiciens latins font pression pour passer à l’état d’urgence. Au parlement, les Alémaniques étaient plus réticents, invoquant les soucis économiques et souhaitant ne pas semer la panique, afin que les gens continuent à travailler», rapporte Benjamin Roduit, conseiller national (pdc, VS).

Vendredi passé, le Conseil fédéral avait certes passé une vitesse supérieure, avec diverses restrictions. Mais aux yeux de beaucoup de professionnels, cela n’allait pas assez loin. «Il faut vraiment éviter que les hôpitaux soient confrontés à un afflux incontrôlable de malades. Pour cela, seules de fortes restrictions de mouvement ont de l’effet», rappelle un spécialiste de l’administration. «Demander à la population de s’autoresponsabiliser, c’est bien, mais insuffisant. Il aurait fallu communiquer plus clairement dès le début. Car beaucoup de gens n’ont pas compris l’ampleur de la situation.»

Une fois n’est pas coutume, le fédéralisme est critiqué. Pour de nombreux acteurs, ce genre de situation exige un pilotage fort. Notre système l’empêche-t-il? Non. D’après la loi sur les épidémies, le Conseil fédéral peut déclarer une «situation extraordinaire» pour centraliser le pouvoir. Il l’a fait hier.

Pourquoi pas plus tôt? «Ce n’est pas le moment de jeter la pierre à qui que ce soit. Mais après la crise, il faudra revoir certains mécanismes pour aller vers plus de rapidité, déclare Benjamin Roduit. La Confédération devra être plus vite à l’écoute des cantons et prendre des mesures. Le Conseil fédéral ne peut pas se retrancher derrière le fédéralisme.»

Alain Berset livre sa recette. «Nous avons essayé de prendre les mesures adéquates au bon moment, pour qu’elles soient suivies par la population. Nous n’avons jamais dévié de cette ligne. Ce processus se trouve en constante évolution et nécessite aussi de la modestie.»

Le Fribourgeois est soutenu par la PDC Silvia Steiner. La conseillère d’Etat zurichoise et présidente de la Conférence des directeurs de l’instruction publique (CDIP) estime que «la décision du Conseil fédéral est venue exactement au bon moment. Les cantons n’ont pas été pris au dépourvu. De plus, en ce qui concerne les écoles, la mise en place de l’enseignement à distance se passe mieux que prévu.» Philippe Boeglin


L’Union européenne ferme ses frontières

Tous les voyages «non essentiels» à destination de l’Union européenne seront proscrits pendant trente jours. Cette mesure ne touche pas les Suisses, mais doit être appliquée par Berne.

La forteresse Europe rehausse ses défenses contre le coronavirus. La Commission européenne proposera aujourd’hui aux leaders des Vingt-Sept, qui se réuniront par téléconférence, d’interdire pendant trente jours – pour commencer – tous les «voyages non essentiels» à destination de l’UE. Les Suisses seront épargnés.

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a justifié ce renforcement des frontières extérieures de l’Union, dont les dirigeants du G7 ont été informés, par la nécessité de limiter au minimum la propagation du coronavirus, qui fait des ravages en Europe.

Plusieurs catégories de voyageurs seront exemptées de cette «restriction temporaire», qui pourra «si nécessaire» être étendue au terme de la période initiale de 30 jours: les citoyens et les résidents de longue durée de l’UE, les membres de leur famille, les diplomates, le personnel médical, les chercheurs, les transporteurs de marchandises ou encore les travailleurs frontaliers.

«Pour être efficaces, ces mesures doivent également être mises en œuvre par les Etats associés à l’espace Schengen» (Suisse, Norvège, Islande et Liechtenstein), a déclaré l’Allemande, en soulignant que «pour les ressortissants suisses et norvégiens, il n’y aura pas de changement» aux frontières de l’UE.

Bruxelles espère ainsi inciter les Etats européens à lever les obstacles à la libre circulation des personnes qu’ils ont dressés, dans l’anarchie, aux frontières qui les séparent les uns des autres.

La libre circulation des marchandises est, elle aussi, entravée par les contrôles ou les interdictions de passage qu’ils y ont mis en place.

Dans ce contexte, la Commission a également recommandé hier aux Etats européens «d’ouvrir des voies vertes, rapides», afin de «maintenir les flux de marchandises» au sein du marché intérieur et, partant, «d’assurer la continuité économique». Elles seraient destinées à fluidifier le trafic des produits médicaux et des denrées périssables ainsi que des services d’urgence. Tanguy Verhoosel, Bruxelles


COMMENTAIRE

L’antivirus, c’est le confinement

Il manquait un vrai pilote dans l’avion. Le Conseil fédéral s’est enfin assis aux commandes pour combattre le coronavirus qui a déjà frappé quelque 2300 personnes en Suisse. En décrétant hier l’état de situation extraordinaire, il a décidé de prendre ses responsabilités. Il faut désormais un leadership ferme de la part d’un Conseil fédéral qui devra être soudé pour conduire une stratégie nationale quelque peu embuée ces derniers temps par les mesures cantonales annoncées en ordre dispersé.

La Suisse a été l’un des pays les plus prompts à prendre des mesures fortes, lorsqu’elle a limité les manifestations de plus de 1000 personnes le 28 février dans le sillage de l’Italie et de la Chine. Elle a toutefois laissé passer deux semaines avant de monter d’un cran sa réponse vendredi dernier, alors que l’épidémie enflammait le pays. Hier, le Conseil fédéral a encore raté l’occasion de rattraper son retard sur la propagation. La fermeture de la vie publique ne fait que repousser l’inéluctable. La Confédération doit aller au bout d’une stratégie du salami dépassée visant à ménager l’économie. Fini les fines tranches, il faut couper là où cela fait mal: dans la liberté de circuler.

Face à l’incendie viral, le coupe-feu le plus efficace est un confinement complet, comme en Espagne. Car ce n’est pas le coronavirus qui circule, mais les gens qui le font circuler. Notre responsabilité à tous est de lui donner le moins de chances de se propager, en limitant au maximum les déplacements non essentiels et en respectant les règles d’hygiène de base.

Trop de comportements irresponsables sont encore observés, par exemple se serrer la main. Le coronavirus est dans toutes les têtes, mais pas assez dans les gestes. Prenons tous de la distance sociale pour mieux nous retrouver, lorsque nous serons débarrassés de la maladie. Thierry Jacolet


La période initiale prévue pour la fermeture des frontières de l’Union

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