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«D’abord la reconnaissance sociale»

Pour les musulmans de Suisse, la perspective de voir l’islam reconnu juridiquement n’est pas prioritaire

Chez les musulmans de Suisse, l’assistance spirituelle l’emporte sur d’autres objectifs comme la reconnaissance officielle. © Keystone-archives
Chez les musulmans de Suisse, l’assistance spirituelle l’emporte sur d’autres objectifs comme la reconnaissance officielle. © Keystone-archives

Peter Siegenthaler, Swissinfo

Publié le 19.02.2020

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Religion » Les musulmans représentent en Suisse la troisième plus importante communauté religieuse. «Qui paie, commande», affirme le dicton populaire. Si les communautés musulmanes de Suisse étaient reconnues en droit public, comme c’est le cas des Eglises nationales chrétiennes, elles pourraient percevoir des impôts ecclésiastiques auprès de leurs membres. Ce qui garantirait une plus grande transparence.

C’est toutefois plus facile à dire qu’à faire. Face à la complexité de la procédure, les représentants des organisations musulmanes n’ont pas consacré trop d’énergie à se faire reconnaître légalement et officiellement, a observé ces dernières années Andreas Tunger-Zanetti, spécialiste en science des religions à l’Université de Lucerne.

Comme les cantons ne reconnaissent pas une religion mais une organisation concrète, laquelle des multiples communautés musulmanes pourrait en profiter?

Andreas Tunger-Zanetti: Puisque la reconnaissance se fait au niveau cantonal, ce sont surtout les organisations faîtières musulmanes actives dans un canton précis qui seraient concernées. Actuellement, seuls huit cantons ont de telles organisations. La Fédération d’organisations islamiques de Suisse (FOIS), qui représente indirectement environ les deux tiers des associations de mosquées, ne mentionne pas la reconnaissance juridique comme un objectif dans ses statuts de 2016.

A ce jour, aucun canton n’a reçu de demande de reconnaissance officielle de la part d’une organisation musulmane. Pourquoi?

Jusqu’ici, seule l’organisation faîtière du canton de Vaud a déposé en 2018 une demande concrète. Cependant, elle cherche une reconnaissance qui est davantage symbolique, en tant qu’institution d’utilité publique – sans possibilité de prélever des impôts ecclésiastiques. Certaines organisations, notamment dans les cantons de Zurich et Lucerne, continuent de mentionner comme objectif une reconnaissance en droit public, mais sans grande priorité. De nombreux cantons ne disposent pas non plus de la base juridique nécessaire.

Y a-t-il une forte opposition politique à l’encontre de ces tentatives de reconnaissance?

Vu que jusqu’à maintenant, aucun canton n’a entamé de démarche concrète de reconnaissance des communautés musulmanes dans le droit public, qui inclurait également un droit de taxation, les sceptiques n’ont pas encore de raison de se mobiliser. On entend parfois dire dans les cercles musulmans, mais aussi chrétiens orthodoxes, qu’il n’est pas forcément souhaitable de toucher de l’argent provenant de l’Etat ou des impôts. Car grâce à l’important engagement bénévole des membres, la vie communautaire est déjà bien animée. Il ne manque que la reconnaissance sociale.

Que souhaite la majorité des musulmans?

En l’absence d’enquête représentative, il est difficile d’estimer ce que désirent la majorité des musulmans pratiquants. La demande de reconnaissance d’intérêt public dans le canton de Vaud a été précédée d’un processus démocratique, qui a montré qu’une nette majorité soutenait la requête.

Quelles questions préoccupent aujourd’hui davantage les musulmans de Suisse qu’une reconnaissance juridique?

Une reconnaissance dans le sens d’une acceptation sociale. Au sein des associations musulmanes, je perçois ce désir de reconnaissance sociale comme encore plus fort. Cette acceptation est ressentie ponctuellement, lorsque les communautés développent de bonnes relations avec le voisinage, les autorités locales, les autres Eglises et associations.

Plus haut dans les priorités des organisations musulmanes figurent actuellement des questions pratiques, comme l’assistance spirituelle dans des institutions publiques comme les hôpitaux, ainsi que la formation de personnel qualifié pour ces tâches d’aumônerie.


Deux formes possibles

En Suisse, il existe deux formes de reconnaissance des communautés religieuses: la «petite», de droit privé, qui a un caractère plutôt symbolique. Elle est possible dans huit cantons. Mais seule la reconnaissance de droit public permet à une institution religieuse de prélever des impôts. Comme les cantons ne reconnaissent pas une religion – c’est-à-dire l’islam – mais une organisation spécifique (telle que l’Eglise réformée), la question se pose de savoir laquelle des nombreuses communautés musulmanes pourrait en bénéficier. De plus, la reconnaissance se fait forcément au niveau cantonal. Pour cette raison, ce sont principalement les organisations faîtières musulmanes actives dans le canton concerné qui sont éligibles. La Fédération d’organisations islamiques de Suisse (FOIS), qui représente indirectement environ les deux tiers des associations de mosquées suisses, ne mentionne pas la reconnaissance juridique comme objectif dans ses statuts de 2016. swissinfo

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