La Liberté

Foyers en ligne de mire

Les centres de traçage automatisent leurs systèmes et s’arment pour mieux identifier les clusters

Igor Cardellini

Publié le 18.03.2021

Temps de lecture estimé : 9 minutes

Pandémie » Alors que la décision concernant des réouvertures potentielles le 22 mars est imminente, l’efficacité de la stratégie «Tests, traçage, isolement et quarantaine» (TTIQ) redevient cruciale. La Confédération va mettre le paquet pour concrétiser le dépistage à large échelle, mais qu’en est-il du traçage? Restée prérogative des cantons, la pratique est très inégale selon les régions (lire ci-après). Le centre de traçage vaudois, où 380 personnes travaillent, se donne désormais les moyens d’identifier les foyers plus efficacement.

Tandis que les cas augmentaient en novembre et que l’équipe cantonale de traçage cherchait à monter en puissance, le centre a engagé un ingénieur informaticien. Semion Sidorenko, assistant à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, a développé des automatisations logicielles pour augmenter la capacité de traitement du centre. Un travail réalisé avec son collègue Julien Muggli, chargé d’optimisation des processus. Au pic de la 2e vague, le canton pouvait traiter 800 cas par jour en moyenne, dans un mode de traçage restreint où seuls les membres du ménage étaient mis en quarantaine. En l’espace de dix jours, la capacité maximale est passée à quelque 2000 cas.

Gagner du temps

A l’aide du langage de programmation Python, Semion Sidorenko a développé un logiciel qui permet la transmission automatique des cas positifs signalés par les laboratoires dans Go.Data. Avant cela, la saisie manuelle des informations était chronophage: «Quand un opérateur traitait un cas, il devait rentrer dans Go.Data les informations contenues sur une feuille de papier. Puis il devait appeler pour compléter l’enquête et reporter à nouveau les informations pour générer une lettre d’isolement», souligne le chargé de projet. La solution développée dans l’urgence pendant la 2e vague a depuis été industrialisée par le canton.

Cette automatisation s’est accompagnée d’une adaptation des formulaires d’autodéclaration. Lorsque les personnes sont diagnostiquées positives, elles reçoivent un SMS avec un lien vers ces formulaires qui permettent de collecter des informations pertinentes. Ces déclarations volontaires sont couplées aux appels de l’équipe de traçage pour mener une enquête téléphonique. «Nous avons pu gagner en efficacité en faisant quelques adaptations assez simples. Par exemple, on pouvait envoyer leur lettre d’isolement à toutes les personnes qui signalaient ne pas avoir de contact à appeler ou indiquant ne pas souhaiter être jointes dans le formulaire en ligne. Cela a fait gagner du temps à un moment où les cas augmentaient fortement et où il n’était plus possible de contacter tout le monde», explique Semion Sidorenko.

Concentrer le traçage et les ressources limitées des équipes rapidement sur les bons cas, privilégier ceux qui pourraient être à la base de foyers, cela est crucial lorsque les cas augmentent. Dès le mois de décembre, le canton a poursuivi les adaptations de sorte à permettre le backward tracing (ou traçage rétrospectif) tel que pratiqué au Japon et en Corée du Sud. Jusqu’à présent, les cantons ont essentiellement pratiqué le forward tracing (traçage prospectif) qui consiste à rechercher les contacts jusqu’à 48 heures avant les premiers symptômes. Le traçage rétrospectif s’intéresse aux événements potentiellement responsables de contaminations groupées, aux clusters.

Chaînes de transmission

Ainsi, au lieu de faire figurer dans les formulaires des champs en texte libre inexploitables directement, comme c’était le cas jusqu’alors, les informations à inscrire ont été précisées, standardisées, pour pouvoir être traitées automatiquement. Notamment pour faire apparaître les événements de propagation sous forme de points sur une carte. «Cela aide à identifier les propagateurs potentiels. Le Covid-19 a cette particularité d’avoir une dispersion assez élevée. Le taux de reproduction Re, qui oscille actuellement autour de 1, signifie qu’en moyenne une personne en contamine une autre. Mais ce qu’il se passe en pratique, c’est que la majorité des personnes ne le transmet pas ou très peu. Une minorité de super-propagateurs est à la base d’une majorité des nouveaux cas. Statistiquement, c’est pertinent d’identifier ces super-propagations pour arrêter les chaînes de transmissions», explique le chargé de projet.

Et d’exemplifier: «Récemment, grâce à la réalisation d’une carte affichant les cas reliés aux lieux de travail, nous avons pu immédiatement identifier deux cas positifs simultanés dans une grande entreprise de l’Arc lémanique. Les employés n’ont réalisé la situation que trois jours après le centre de traçage.» Les outils et formulaires qui permettent de réaliser ces cartes pour les lieux de travail, sont en voie d’adaptation pour inclure plusieurs types d’événements. Une équipe clusters a été formée et renforcée pour mener des enquêtes sur le déroulement de super-propagations. L’épidémiologiste Philippe Sudre est au service de ces équipes.


Pas d’interopérabilité

Face aux problèmes d’opérabilité entre les systèmes de traçage cantonaux, une solution nationale est attendue.

Les cantons ont chacun leur système de traçage en Suisse. En Suisse alémanique ainsi qu’en Valais et dans le Jura, c’est le système Sormas qui s’est imposé, tandis que Fribourg et Vaud utilisent Go. Data et Genève emploie REDCap.

Ces systèmes ne sont pas interopérables, situation qui empêche un suivi des chaînes de transmission entre cantons. Le problème a déjà été pointé par la task force scientifique à la fin de l’année dernière, étant donné l’importance de la mobilité ne serait-ce que professionnelle.

Cet état de fait a été discuté la semaine dernière au Conseil national, qui demande l’établissement d’un système de traçage électronique des contacts à l’échelle nationale. Au-delà de la question de l’opérabilité intercantonale, l’écologiste Gerhard Andrey a demandé au Conseil fédéral s’il était prêt à intégrer des solutions comme NotifyMe. «Une application de notification d’exposition dans des lieux ou événements sûre, notamment car elle ne stocke aucune donnée à l’inverse de nombreuses applications utilisées actuellement.»

Des interventions sont prévues en commission pour défendre l’utilisation élargie de NotifyMe. Cet outil est développé par l’agence alémanique Ubique sur la base d’un protocole décentralisé conçu par Carmela Troncoso à l’EPFL et baptisé Crowd Notifier, avec des standards de protection des données personnelles très élevés.

Des experts soulignent que cette application constituerait un bon soutien au backward tracing. Techniquement, une personne qui s’avérerait positive et qui aurait scanné les lieux où elle s’est rendue à l’aide de NotifyMe pourrait partager automatiquement, anonymement et de manière ultra rapide, la liste des endroits visités. Ce système pourrait être intégré avec l’usage du Covid-code de SwissCovid ou non.

Il ne s’agirait pas de remplacer les systèmes de traçage cantonaux qui eux sont nominaux et se basent sur des enquêtes téléphoniques notamment. Ces notifications seraient complémentaires. IC


Des évolutions à Genève aussi

A Genève, le système a été modifié de manière similaire à celui de Vaud. Simon Regard, coordinateur et responsable de la cellule des enquêtes d’entourage de la Direction générale de la santé, souligne que cela a été possible grâce à des data managers qui «gèrent les multiples programmes informatiques de la cellule et permettent aussi d’agréger les données pour assurer la veille épidémiologique». Pendant la 2e vague, l’équipe a développé des questionnaires que les personnes pouvaient déjà remplir elles-mêmes afin de gagner du temps. Il est possible à Genève «de géolocaliser les adresses résidentielles et professionnelles des personnes testées positives afin de détecter des clusters passés inaperçus». La cellule travaille aussi à la modélisation des chaînes de transmission.

La gestion de foyers a débuté l’été dernier et s’est concentrée sur les lieux festifs. «On a été relativement précoces sur ce point, mais on n’avait pas assez identifié l’intérêt de remonter plus loin que 7 jours environ d’exposition pour identifier aussi des événements de superpropagation. Ceci a été corrigé à la fin de l’été», souligne Simon Regard. L’arrivée de la 2e vague a limité le traçage rétrospectif, qui a été repris immédiatement après. IC

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