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«Je ne veux tuer personne»

Pratiquant le suicide assisté, le médecin Erika Preisig est contre la légalisation de l’euthanasie active

Erika Preisig défend la légalisation du suicide assisté aussi dans d’autres pays. © Keystone-archives
Erika Preisig défend la légalisation du suicide assisté aussi dans d’autres pays. © Keystone-archives

Kaoru Uda, Swissinfo

Publié le 19.10.2021

Temps de lecture estimé : 4 minutes

Aide au suicide » La Bâloise Erika Preisig, médecin et présidente de l’organisation de suicide assisté Lifecircle, a aidé à mourir des patients, y compris venant de l’étranger. La militante défend aussi la légalisation du suicide assisté dans d’autres pays, mais refuse l’euthanasie active.

Pourquoi votre organisation apporte-t-elle son aide à des personnes venant de pays où le suicide assisté est illégal?

Erika Preisig: Parce que chaque être humain a le droit de décider quand, où et comment il veut mourir. Souvent, lorsque des personnes se rendent en Suisse pour mourir, elles souffrent d’une maladie grave et ne sont pas en état de voyager. Si elles pouvaient avoir cette possibilité dans leur pays d’origine, elles ne seraient pas obligées de le faire ici. L’aide à la mort devrait être légale partout dans le monde.

Il y a environ 15 ans, mon père est mort en recourant à l’aide au suicide. Il souffrait d’une maladie incurable. Il s’est assis à côté de moi, a bu les médicaments, a posé sa tête sur mon épaule avant de mourir. Il n’y avait aucune souffrance, aucun problème, aucune peur. Et puis j’ai commencé à réfléchir: les soins palliatifs sont-ils la seule solution? Faut-il continuer à vivre, même quand on est très vieux et très malade? Depuis lors, je travaille à aider la patientèle à mourir par suicide assisté ou soins palliatifs. Les individus décident eux-mêmes s’ils veulent se marier, avoir des enfants, manger quelque chose. Mais ils n’ont pas le droit de choisir leur fin de vie.

Contrairement aux Pays-Bas, la Suisse n’autorise pas le corps médical à injecter la dernière dose létale. Pensez-vous que l’euthanasie active devrait également être légalisée en Suisse?

Non.

Pourquoi?

Je ne veux tuer personne. Ce devrait être les patients qui activent le médicament par voie intraveineuse, en toute sécurité et sans souffrance.

De nombreuses personnes souffrant de troubles psychiques souhaitent aussi mourir par suicide assisté. La réglementation suisse rend très difficile l’obtention du feu vert pour elles. La Suisse devrait-elle leur ouvrir la porte?

Pour cela, nous avons besoin de davantage de psychiatres qui puissent juger de leur capacité mentale. Il y a tellement de gens qui souffrent de maladies mentales dans le monde et nous avons très peu de psychiatres. Nous ne pouvons pas accepter les personnes étrangères atteintes de maladies mentales. Nous n’en avons pas la capacité.

Mais devrait-il y avoir suffisamment de psychiatres?

Oui. Si une maladie mentale est incurable, comme une maladie somatique, la mort assistée devrait être autorisée. Par exemple, si une personne est allée trois fois en clinique psychiatrique, qu’elle est toujours bipolaire, dépressive ou schizophrène et qu’elle ne veut plus vivre. Dans ce cas, on peut comparer cette situation à une maladie somatique incurable.

Alors que de plus en plus de personnes choisissent de mourir par suicide assisté, il n’y a que quelques organisations qui fournissent ce service. Pourquoi?

Après chaque cas de mort assistée, la police et la justice viennent pour une inspection légale. On ne se sent pas à l’aise d’être interrogé à chaque fois. Il serait nécessaire de revoir ce processus. L’aide à la mort devrait faire partie du travail normal du corps médical, comme l’administration d’antibiotiques.

En soins palliatifs, je fais des injections de morphine ou une sédation terminale. C’est le travail des médecins. Tout le monde me fait confiance. Pas de police, pas d’inspection. Mais lorsque j’aide un patient à mourir, je dois traiter des tas de papiers et faire face à une inspection de la police.

Pensez-vous que le système suisse est meilleur que le système néerlandais?

A mon avis, le modèle suisse est la meilleure option. Ici, la personne a le dernier mot sur sa vie. Le corps médical ne devrait pas décider si une vie ne vaut pas la peine d’être vécue. Si les médecins peuvent faire l’injection, comment peut-on être sûr que c’était vraiment le souhait des malades?

Selon certaines critiques, la légalisation du suicide assisté pourrait permettre à certaines entreprises d’en profiter…

Nous avons été accusés à de nombreuses reprises par des personnes qui disent que nous fournissons l’aide à mourir uniquement pour l’argent. Pour éviter cela, chaque organisation devrait voir ses revenus et ses dépenses inspectés par le gouvernement.

En Suisse, existe-t-il une réglementation obligeant les organisations d’aide au suicide à rendre leurs comptes publics?

Il n’y a pas de réglementation. Et je ne suis pas d’accord avec cela.

Que fait votre organisation pour être transparente?

Lifecircle est une fondation. Et nous faisons contrôler nos comptes deux fois par an par le gouvernement.

N’avez-vous jamais pensé à démissionner?

Il y a cinq ans, j’ai été accusée du meurtre d’une très vieille dame suisse. Elle était dans un service psychiatrique depuis trois mois et on lui avait diagnostiqué une dépression. J’ai discuté avec son fils, le chef de la maison de retraite où elle séjournait et sa concierge. Mais je n’ai pas pu trouver de psychiatre pour l’évaluation.

Lorsque vous êtes confrontée à un procès pour meurtre, et que vous pensez avoir tout fait parfaitement bien, vous vous demandez: pourquoi s’infliger tout cela? Et vous vous dites: pourquoi je ne démissionne pas (rires)? Mais il y a tellement de personnes qui me font confiance et qui ont besoin de mon aide. C’est pour cela que je continue.

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