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La Suisse dans la cour des grands

La Suisse brigue un siège non permanent de deux ans au Conseil de sécurité de l’ONU. Décision en juin

Sibilla Bondolfi, Swissinfo. CH

Publié le 17.01.2022

Temps de lecture estimé : 6 minutes

New York » «But I don’t wanna be Switzerland!» Vous vous souvenez peut-être de la façon dont Jerry Seinfeld, dans la série du même nom, se défend contre ses voisins qui entendent se servir de son appartement comme endroit neutre pour prendre des «risques». On pourrait presque penser que la Suisse aussi ne veut plus être la traditionnelle «Switzerland», soit l’incarnation de la neutralité étatique, préférant jouer un rôle dans la politique mondiale.

En tous les cas, elle ne veut plus être une simple contributrice à l’ONU, souhaitant avoir également son mot à dire. Aussi brigue-t-elle un siège non permanent de deux ans au Conseil de sécurité. Un siège qui présente des atouts, mais comporte également des risques. Tour d’horizon.

1 Relations avec les grandes puissances

La candidature suisse a été lancée en 2011 par Micheline Calmy-Rey, alors présidente de la Confédération et ministre des Affaires étrangères. La Genevoise explique qu’au sein du Conseil de sécurité, la Suisse pourrait développer ses réseaux et donc son influence au niveau international.

Cependant, un contact plus étroit avec les autres membres du Conseil de sécurité a aussi son revers. Le premier ambassadeur suisse auprès des Nations Unies, Jenö Staehelin, a ainsi déclaré à la Neue Zürcher Zeitung qu’il avait personnellement appris que le risque de tentatives de pression d’autres Etats était grand et que la Suisse céderait probablement en cas de jeu de pouvoir et s’écarterait de ses principes. «Un siège au Conseil de sécurité est risqué; à moins qu’il ne bénéficie d’un très large soutien politique interne», explique-t-il.

D’après Markus Heiniger, qui a longtemps travaillé au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) et s’engage aujourd’hui au sein de la plateforme de la société civile pour un siège helvétique au Conseil de sécurité, les tentatives de pression à l’ONU sont aujourd’hui déjà une réalité pour la Suisse, par exemple au Conseil des droits de l’homme. Selon lui, comme pour Jenö Staehelin, l’essentiel est de conserver les positions suisses sur le plan de la politique intérieure. Des controverses politiques internes trop importantes pourraient affaiblir la capacité d’action de la Suisse au Conseil de sécurité.

2 Possibilité de fixer des priorités

Siéger au Conseil de sécurité permet de contribuer à des débats de fond et de donner des orientations, note Angela Müller, vice-présidente de l’Association Suisse-ONU (ASNU). «La Suisse peut faire entendre sa voix dans les négociations et les votes et assume une ou deux fois la présidence du Conseil, dans le cadre de laquelle elle peut fixer des priorités.» On peut faire davantage bouger les choses au Conseil de sécurité, concède également Jenö Staehelin dans la Neue Zürcher Zeitung.

D’autres voix critiques, comme celles de l’ancien ambassadeur Paul Widmer, déplorent le fait que seuls les cinq membres permanents qui détiennent le droit de veto aient leur mot à dire au Conseil de sécurité. La question de savoir qui occupe un siège non permanent ne revêt pratiquement aucune importance. De ce point de vue, la Suisse s’expose sur le plan de la politique extérieure et intérieure sans gagner en influence. L’ancien collaborateur du DFAE Markus Heiniger n’est pas de cet avis: «Les membres non permanents du Conseil de sécurité peuvent tout à fait avoir une influence, surtout s’ils s’unissent.» Selon lui, c’est par exemple grâce à la Suède, puis à l’Irlande et à la Norvège, que l’accès humanitaire en Syrie a pu être imposé. Et si, malgré les tensions entre la Chine et les Etats-Unis, un projet de résolution concernant le Covid-19 a été adopté en avril 2020, c’est grâce aux membres élus du Conseil de sécurité.

3 Renforcer la Genève internationale

La Suisse se distingue de la plupart des autres Etats membres non permanents du Conseil de sécurité sur un point: elle dispose de ce que l’on appelle la Genève internationale. Genève était le siège de la Société des Nations et abrite, depuis 1966, le Bureau européen des Nations Unies.

Genève est toutefois de plus en plus en concurrence avec d’autres villes hôtes telles que Vienne, Helsinki ou Oslo. Selon Micheline Calmy-Rey, un siège suisse au Conseil de sécurité renforcerait la Genève internationale. Actuellement, le multilatéralisme s’érode. La Suisse s’efforcera de faire en sorte que la Genève internationale profite également du siège au Conseil de sécurité, indique Angela Müller: «En tant que membre du Conseil de sécurité, la Suisse peut contribuer à renforcer l’axe entre le site de l’ONU à orientation politique, New York, et celui à orientation plus opérationnelle, Genève.» Genève en bénéficiera certainement, même si cela ne peut désamorcer que jusqu’à un certain point la pression à laquelle elle est soumise.

4 Un rôle de médiatrice

Selon Micheline Calmy-Rey, le siège au Conseil de sécurité représente une chance pour la Suisse de jouer son rôle de médiatrice sur la scène internationale. Autrement dit, de servir d’intermédiaire entre les grands, soit les membres permanents du Conseil de sécurité.

La neutralité helvétique ne pose aucun problème à cet égard. Comme le Conseil de sécurité agit au nom de la communauté internationale, la neutralité n’entre pas en contradiction avec une adhésion à cet organe. Le Conseil fédéral a fait examiner la question dans un rapport et parvient également à la conclusion que la participation au Conseil de sécurité «serait tout à fait compatible» avec la neutralité suisse.

La neutralité concerne également l’image de la Suisse. Selon Paul Widmer, la Suisse met en jeu sa marque de fabrique – la neutralité – avec sa candidature. D’après lui, la Suisse perdrait plus qu’elle ne gagnerait avec un siège au Conseil de sécurité. Markus Heiniger n’est pas de cet avis. Selon lui, ce siège offre des possibilités d’avoir plus d’impact – par exemple, dans un processus de paix – et d’acquérir ainsi un certain profil.

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