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La valeur locative en sursis

Le Conseil des Etats a modifié mardi le système d’imposition des propriétaires

Philippe Castella

Publié le 22.09.2021

Temps de lecture estimé : 4 minutes

Fiscalité » C’est l’un des serpents de mer de la politique suisse. «C’est plutôt une hydre», corrige Carlo Sommaruga. «A chaque fois qu’on lui coupe la tête, elle repousse.» Président de l’Asloca (locataires), le socialiste genevois s’est battu en vain mardi contre un changement de système dans l’imposition des propriétaires. Le Conseil des Etats a décidé de tourner le dos au principe de l’imposition de la valeur locative.

Mais la messe est loin d’être dite. D’abord parce que le Conseil national devra confirmer ce choix. Ensuite parce qu’aux Etats, la majorité reste fragile. Au vote sur l’ensemble mardi, le oui ne l’a emporté que par 20 voix contre 17 et 2 abstentions. A la notable exception de Philippe Bauer (plr, NE), tous les élus romands se sont opposés ou abstenus. Et enfin parce que tout cela devrait se terminer devant le peuple et que celui-ci a déjà par deux fois dit non (en 2004 et en 2012) à un tel changement de système.

Des Suisses fort endettés

De quoi parle-t-on? La seule évocation de la valeur locative fait tiquer de nombreux propriétaires qui ne comprennent pas cette taxe. Il s’agit d’un revenu fictif qu’un propriétaire doit ajouter à sa déclaration d’impôt lorsqu’il habite son propre logement. Il correspond à 60 à 70% du loyer annuel qu’il toucherait s’il le louait à un tiers. En échange, le propriétaire peut toutefois défalquer sur sa feuille d’impôts les intérêts de sa dette et les travaux de rénovation. Cela fait dire à Carlo Sommaruga que le système actuel favorise déjà très largement sur le plan fiscal les propriétaires par rapport aux locataires. A l’inverse, pour les partisans de la réforme, tel Pirmin Bischof (centre, SO), il s’agit de réduire l’endettement des ménages privés, nettement plus élevé en Suisse que chez les voisins européens. Et aussi d’arrêter de récompenser ceux qui ont des dettes et de punir ceux qui n’en ont pas.

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Le nombre de cantons qui ont manifesté leur opposition à un changement de système

Pour éviter de froisser trop de monde, les sénateurs ont fait mardi quelques contorsions à l’objectif général de supprimer l’imposition de la valeur locative, et en contrepartie, la déduction des rénovations et des intérêts de la dette. Ainsi ont-ils laissé aux cantons la possibilité de maintenir des déductions fiscales pour les frais de rénovation énergétique, cela afin d’atteindre les objectifs climatiques. Ils ont aussi maintenu le principe de la valeur locative pour les résidences secondaires. Là, l’idée, c’est de ne pas trop pénaliser les finances des cantons périphériques. Telle que décidée mardi, la réforme devrait faire perdre plus d’un milliard de francs par an à la Confédération, aux cantons et aux communes. Vingt et un cantons ont d’ailleurs manifesté leur opposition à un changement de système. Les sénateurs ont enfin maintenu la déduction des intérêts passifs, mais à hauteur de 70% du rendement imposable de la fortune. L’équilibre de l’ensemble est discutable et il a fait pencher quelques élus de droite vers le non au vote sur l’ensemble.

Des déçus surprenants

Il faut dire aussi qu’outre les cantons et les locataires, ce changement de système fait quelques déçus auxquels on ne pense pas de prime abord. A commencer par les banques, qui se font certes très discrètes dans ce débat. Mais elles font de l’endettement des Suisses un commerce fort juteux. Autre secteur qui devrait pâtir d’un changement de système, celui du second œuvre, comme l’a mis habilement en avant Christian Levrat: «Cela va encourager le travail au noir, car les propriétaires n’auront plus à justifier les travaux de rénovation face à l’autorité fiscale», craint le socialiste fribourgeois.

«Cela va encourager le travail au noir»

Christian Levrat

Globalement, les propriétaires devraient, eux, bénéficier du changement de système, à hauteur de la perte fiscale enregistrée par les collectivités publiques (plus d’un milliard de francs par an). Mais là, tout dépend de la situation individuelle. Les principaux gagnants seront les propriétaires qui ont remboursé l’essentiel de leur dette. Mais ceux qui ont une grosse hypothèque et prévoient d’importants travaux de rénovation ont tout intérêt de se dépêcher de les faire avant la suppression de l’imposition de la valeur locative. Pour autant bien sûr que cette réforme franchisse toutes les étapes qui l’attendent encore.

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