La Liberté

Le solaire éclipse la géothermie

Alors que le photovoltaïque multiplie les succès, d’autres énergies renouvelables sont, elles, à la peine

Les performances contrastées du renouvelable © Infographie : V. Regidor, source : BFE, Photo : Keystone
Les performances contrastées du renouvelable © Infographie : V. Regidor, source : BFE, Photo : Keystone

Sandrine Hochstrasser

Publié le 20.11.2018

Temps de lecture estimé : 6 minutes

Stratégie énergétique » La Suisse est «sur la bonne voie». La Confédération s’est félicitée ce mardi des progrès accomplis en matière d’énergie, un an et demi après l’adoption de la Stratégie énergétique 2050. La production d’électricité de sources renouvelables (hors hydraulique) continue d’augmenter. «En 2017, elle s’est élevée à 3653 gigawattheures (GWh), soit 6,4% de la production totale d’électricité. C’est 486 GWh de plus que l’année précédente», salue l’Office fédéral de l’énergie (OFEN).

Ce satisfecit masque pourtant une réalité contrastée. Seul le solaire connaît un véritable essor. Or la Confédération compte bien sur un mix, incluant la géothermie et l’éolien notamment, pour remplacer à terme les centrales nucléaires. Et produire plus de 20 000 GWh par année dès 2050.

L’éolien face aux recours

Pourtant, depuis le vote populaire de mai 2017, aucune nouvelle éolienne n’a été construite. Il y en a toujours 37 qui produisent moins de 130 GWh par année. «C’est un long processus, 18 projets sont actuellement déposés, mais la majorité sont en attente d’une décision de justice, précise Lionel Perret, de Suisse Eole. Si la plupart de ces projets sont autorisés, nous pourrons rapidement combler notre retard», tempère-t-il. Premier pas: Cinq nouveaux mâts devraient se dresser au col du Gothard dès 2019, suite au rejet d’un recours en juin.

Le projet de Sainte-Croix (VD), lancé il y a 20 ans (!), n’est lui pas près d’aboutir: les opposants vont saisir le Tribunal fédéral. Mais la décision du Tribunal cantonal, communiquée samedi, réjouit Suisse Eole: les juges se sont appuyés pour la première fois sur la Stratégie énergétique 2050 – qui prévoit une pesée d’intérêts entre les énergies renouvelables et la protection du paysage et de l’environnement – pour valider le projet. «Une fois que ces procédures auront été menées jusqu’au bout, les suivantes iront plus vite», espère Lionel Perret.

Outre l’éolien, la géothermie connaît aussi un développement contrarié. Alors que les projets de pompe à chaleur se multiplient dans le pays, aucun kWh d’électricité n’est encore produit grâce au sous-sol. Or la Confédération table sur une production de 4400 GWh d’électricité par année, d’ici trente ans, grâce à la géothermie. Mais il faut forer en profondeur, où la température des eaux dépasse les 100 degrés.

Après l’abandon des projets de Bâle et de Saint-Gall pour des raisons sismiques, les espoirs reposent sur celui de Haute-Sorne, dans le canton du Jura, dont la construction est prévue pour 2020-2021. Mais ce calendrier paraît plus qu’incertain.

Initiative invalidée

Il y a d’abord l’opposition de citoyens effrayés par la technologie «pétrothermale» (fracturation de la roche, en injectant de l’eau). La résistance s’est manifestée par le dépôt d’une initiative… invalidée cet été par la justice cantonale, car jugée contraire à la Stratégie énergétique 2050. La riposte s’organise désormais au parlement. Une motion émanant du PDC qui demande l’arrêt définitif du projet sera traitée en décembre. Tandis qu’un recours de voisins est toujours pendant devant le Tribunal fédéral.

Un tremblement de terre à Pohang en Corée du Sud, en novembre 2017, est venu corser encore le destin de ce projet jurassien. Apprenant qu’il y avait «de fortes suspicions» que ce séisme ait été provoqué par des activités géothermiques voisines, le Gouvernement jurassien a suspendu le projet de Haute-Sorne jusqu’à nouvel avis.

Il attend désormais un rapport du promoteur Geo-Energie Suisse, impliqué à Pohang, ainsi qu’une expertise officielle des autorités de Séoul début 2019. «Nous déciderons après réception et analyse des rapports officiels» de l’avenir du projet, précise David Eray, ministre de l’Environnement et président du Gouvernement jurassien. Et de regretter que le parlement s’empare du sujet «au mauvais moment», avant de connaître les conclusions des deux études.

Au final, le premier kWh d’électricité géothermique viendra peut-être du canton de Vaud. Le projet de Lavey, qui compte produire chaleur et électricité par un système hydrothermal (sans fissurer la roche, le réservoir d’eau existant déjà), paraît mieux emmanché. Mais la production s’annonce moins importante: l’équivalent de la consommation annuelle de 1200 ménages, contre 6000 en Haute-Sorne.

Pour l’OFEN, la géothermie pétrothermale (avec fracturation de la roche) reste la technique la plus prometteuse. «Cette technologie peut théoriquement être mise en œuvre à peu près partout en Suisse», renchérit Geo-Energie Suisse. Mais pour ce faire, le pays doit investir dans l’exploration de son sous-sol, encore méconnu. La Stratégie énergétique a prévu des subventions pour encourager cette recherche. Près de 50 millions de francs par an, jusqu’en 2030, précise l’OFEN.

Photovoltaïque en avant

De l’argent bien investi? Certains le contestent. La Fondation suisse pour l’énergie (SES) appelle à mettre la priorité sur la technologie «la moins chère et la mieux acceptée»: le photovoltaïque. «Les ressources disponibles sont limitées et aujourd’hui bloquées par des technologies relativement coûteuses comme la géothermie. Des projets qui ne produiront peut-être jamais d’électricité. Nous avons besoin d’une nouvelle hiérarchisation des fonds afin de réduire les listes d’attente pour le photovoltaïque», souligne Felix Nipkow, de la fondation SES.

Les listes d’attente ont, en effet, provoqué un fléchissement du marché photovoltaïque de 2015 à 2017. La Stratégie énergétique a permis de débloquer de nouveaux fonds et d’améliorer la situation. Mais les délais demeurent décourageants, dénonce-t-il.

«Ce serait dangereux de s’appuyer sur une seule technologie, conteste l’OFEN. Ce serait un risque de concentration et des occasions pourraient être manquées», réplique-t-il.

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