La Liberté

Manon Schick, l’éternelle indignée

Après 10 ans à la tête d’Amnesty International Suisse, la Lausannoise a décidé de laisser sa place. Elle n’abandonnera toutefois pas les droits humains. Rencontre

Selver Kabacalman

Publié le 28.10.2019

Temps de lecture estimé : 5 minutes

Portrait »  Son visage est bien connu du public. Elle porte ses idées haut et fort et son nom résonne outre-Sarine. Manon Schick est sans doute l’une des Lausannoises les plus en vue du pays. Après dix ans à la tête d’Amnesty International Suisse, elle laisse sa place.
D’abord bénévole pour l’organisation, puis salariée, Manon Schick a grimpé les échelons un par un avant d’accéder à sa tête. Mais après seize ans d’engagement et dix ans de direction, elle passe le flambeau: «il est temps de laisser la place à d’autres». La décision coïncide avec la mise en œuvre d’une nouvelle stratégie internationale et nationale pour Amnesty. Un moment idéal pour laisser la place à quelqu’un de neuf. Elle quittera son poste l’été prochain.

Pour la suite, tout reste ouvert. «Je sais faire plein de choses», glisse-t-elle arborant un sourire. Elle préférerait toutefois laisser derrière elle les dossiers très lourds humainement. «Même si je suis de nature optimiste, tous ces destins nous touchent quand même», confie-t-elle. Elle aimerait se tourner vers quelque chose d’un peu plus «léger».

Mais elle annonce la couleur: «Je quitte Amnesty, pas les droits humains», souligne-t-elle. Dans la longue liste des droits qu’elle défend, la liberté d’expression lui tient particulièrement à cœur. La chose n’est certainement pas étrangère au fait qu’elle a entamé sa vie professionnelle avec le journalisme. Elle fait ses armes sur la Radio Acidule d’abord, puis a œuvré à l’Illustré avant de s’engager en mission en Colombie auprès des Peace Brigades International. Expérience qui l’a marquée durablement. «En revenant je ne voulais plus faire de journalisme frivole.»

C’est à cette période que s’offre justement à elle l’opportunité de prendre le poste de porte-parole chez Amnesty. «J’ai bénéficié de discrimination positive car la direction n’était composée que d’hommes à l’époque et il y avait une volonté de changer cet état de fait.» Depuis l’organisation compte plus de femmes que d’hommes.

Les droits des femmes

En plus de la liberté d’expression, le droit sexuel des femmes touche particulièrement la directrice. «On voit encore partout cette volonté de maîtriser le corps et la sexualité des femmes. Donald Trump a coupé des financements pour la promotion de la santé sexuelle aux Etats-Unis. Cela aura des répercussions majeures. Plus d’éducation sexuelle, impossible d’enseigner aux filles qu’elles ont le droit de dire non et de gérer leur sexualité. Ce sont de perpétuels retours en arrière.»

Mais Manon Schick garde confiance. Notamment grâce à ces vagues de mobilisations qui se sont succédées cette année. «La grève féministe était formidable. Et le mouvement donne déjà des résultats. Nous avons atteint 42% de femmes au Conseil national. Une progression importante.»

Et elle relève aussi son admiration pour les jeunes activistes pour le climat, qui se mobilisent de plus en plus: «Le militantisme n’est pas mort…» Quant aux critiques adressées à la génération qui sort dans les rues, elle note que l’on «ne peut pas lui reprocher un manque de cohérence. La cohérence est un apprentissage à tout âge», relève-t-elle. Elle avoue elle-même remettre en question depuis quelques mois sa consommation de viande et ses trajets en avion.

«Mais nous ne pouvons pas juste agir à notre niveau. Il nous faut des lois car on sait que la moitié de la pollution émise en Suisse est due aux placements de la BNS, donc il faut s’attaquer au vrai problème», rappelle la directrice d’Amnesty International Suisse.

Indignation viscérale

Lorsque l’on interroge les moteurs de son engagement, elle confie être mue par une indignation profonde. Ce sentiment viscéral, elle a voulu le mettre au service des droits humains, qu’elle a aux tripes. Notamment pour que les multinationales soient tenues responsables des violations qu’elles commettent.

Des entreprises tentant régulièrement de faire pression sur Amnesty. «Elles sont plus soucieuses de leur image que ne le sont les gouvernements. Je n’ai quasiment jamais eu de téléphone d’un gouvernement, alors que les entreprises, oui. Elles menacent même de procès.» Si sous sa direction l’organisation n’a pas été attaquée en justice, ses membres ont subi à plusieurs reprises des menaces.
Au moment de tourner une page, la professionnelle des droits humains évoque quelques regrets et déceptions. Sa plus grosse déception? Aung San Suu Kyi, icône de la paix qu’elle admirait jusqu’à ce que le monde assiste à son manque d’action envers les Rohingyas. «Je ne comprends pas comment quelqu’un qui s’est battu pour les droits de son peuple puisse abandonner ainsi une partie de son peuple et renier ses propres valeurs», déplore-t-elle. Amnesty International a retiré l’an dernier le Prix d’ambassadrice de conscience, sa plus haute distinction, qu’elle lui avait décernée.

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