Pas un sou pour les vaches à cornes
Les Suisses ont refusé à 54,7% de subventionner les éleveurs qui renoncent à écorner leurs animaux
Philippe Flück
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Bétail » Les détenteurs de vaches à cornes ne seront pas subventionnés. L’initiative «Pour la dignité des animaux de rente agricoles» a été refusée hier par 54,7% des votants. Six cantons, dont Genève, ont dit «oui». Les rejets les plus forts sont venus de Fribourg (66,2%), d’Appenzell Rhodes-Intérieures (66%) et du Jura (65,2%). L’initiative a trouvé ses plus forts soutiens à Genève (59,9%), à Bâle-Ville (56,8%) et Bâle-Campagne (51,6%).
Facture de 15 millions
Trois quarts des vaches et un tiers des chèvres sont dépourvues de cornes en Suisse. L’initiative visait à adapter le système de subvention pour accorder un soutien financier aux détenteurs de vaches, de taureaux reproducteurs, de chèvres et de boucs reproducteurs tant que les bêtes adultes portent leurs cornes.
Cette aide devait s’inscrire dans le cadre des incitations visant le respect de l’environnement et des animaux. Durant la campagne, les initiants avaient chiffré leurs revendications. Il en coûterait 15 millions de francs par an (au moins 190 fr. par vache et 38 fr. par chèvre).
Le Conseil fédéral a quant à lui évoqué une facture pouvant afficher de 10 à 30 millions, à compenser dans le reste des fonds attribués à l’agriculture. Le soutien de la gauche, ainsi que de certains milieux agricoles et organisations environnementales, et la liberté de vote laissée par l’Union suisse des paysans (USP) n’ont pas suffi. Les initiants, emmenés par le paysan Armin Capaul, un Grison établi dans le Jura bernois, ont échoué, comme plusieurs autres initiatives paysannes récemment.
«Par cette décision, le peuple écorne l’animal national et il devra s’en expliquer au monde entier», a réagi Armin Capaul, qui estime avoir sensibilisé les gens à la douleur des animaux. Selon lui, les villes ont voté avec le cœur, les campagnes pour des questions de profit et d’argent. La bataille n’est pas finie. «Nous allons écrire des lettres au Conseil fédéral et il devra nous prendre au sérieux», a complété son épouse Claudia Capaul.
Coup de chapeau
Le ministre de l’Agriculture, Johann Schneider-Ammann, affrontait sa dernière votation en tant que conseiller fédéral. Il a tiré son chapeau à l’agriculteur Armin Capaul, parti quasiment seul au combat. Le «non» sorti des urnes n’est pas un refus opposé aux détenteurs de vaches à cornes, selon le ministre. ATS
COMMENTAIRE
La menace de la bouillie
Ce scrutin a eu le mérite de consolider l’image bucolique de la Suisse comme contrée à la démocratie idyllique, où même le sort des cornes des vaches est tranché – si l’on ose dire – dans les urnes. Il a aussi eu le mérite de réunir les bobos genevois et les barbus glaronais contre une majorité du peuple suisse pour ce qui est sans doute une première. Il les a même réunis contre ces armaillis de Fribourgeois qui se retrouvent être les plus fervents défenseurs des vaches sans cornes. De quoi écorner l’image des poyas traditionnelles.
Mais au-delà des analyses ethnologiques, le résultat est bien plus révélateur qu’anecdotique. Le fort soutien manifesté à l’initiative (45,3% de oui) démontre la préoccupation de la population quant aux conditions de détention du bétail. Il rejoint le souci exprimé dans les urnes en septembre en faveur d’une nourriture saine et respectueuse de l’environnement.
Cela va, partiellement seulement, déjà dans le sens de la politique agricole développée en Suisse. Mais son ministre démissionnaire, Johann Schneider-Ammann, a beau rappeler constamment son pedigree de fils de vétérinaire, le libéral-radical voit d’abord l’agriculture comme un potentiel obstacle aux libres échanges commerciaux, le dada de cet industriel qu’il n’a jamais cessé d’être.
Sa ou son successeur à l’Economie devra étoffer cette vision réductrice et tenir compte de ces derniers scrutins comme autant d’avertissements, sans quoi c’est une bouillie particulièrement indigeste que les Suisses pourraient lui servir lors d’une prochaine votation populaire sur ce thème.Philippe Castella