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Ruée sur le test en kit

Les labos privés viennent à la rescousse pour dépister plus rapidement le coronavirus

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Pierre-André Sieber

Publié le 15.03.2020

Temps de lecture estimé : 10 minutes

 

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Pandémie » Près de 250 analyses par jour. Depuis le début de l’épidémie de Covid-19 devenue pandémie, le centre de virologie (CRIVE) des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) tourne à plein régime. Il a été le premier à valider et mettre en œuvre une procédure de détection fiable. Le nouveau coronavirus met la capacité à tester des services sanitaires publics à rude épreuve. A Bâle-Campagne, l’unité mobile de dépistage du coronavirus a recours aux services de son hôpital cantonal mais aussi des laboratoires ultramodernes de Viollier à Allschwil (BL). «Nous envoyons une partie de nos frottis à ce labo privé», confirme Rolf Wirz, responsable de l’état-major de crise de Bâle-Campagne. «Nous avons à peu près une vingtaine de prélèvements par jour à faire analyser.»

Le rythme n’est pas près de se calmer. Le coronavirus fait non seulement exploser la demande en équipements de protection mais aussi en kits de test de détection. La Suisse ne teste plus systématiquement, ce qui fait bondir les épidémiologistes, mais réalise tout de même 2000 analyses par jour dans une dizaine de laboratoires.

Comme de nombreux pays touchés par la pandémie, elle a besoin de diagnostics rapides et économes en personnel, d’où la mise sur le marché de tests en kits produits par des firmes spécialisées afin d’accélérer les opérations longues et compliquées. Le temps mis à séparer les patients sains des malades est précieux.

Français à la pointe

Les techniques d’analyse demandent actuellement 4 à 5 heures avant de livrer leur diagnostic. Même le nouveau kit de la firme Roche, qui vient de recevoir une homologation d’urgence aux Etats-Unis, prend trois heures et demie. Selon Severin Schwan, CEO de la firme bâloise interviewé par SRF, son avantage est le nombre réalisé en 24 heures: 4000 sur une plateforme automatisée. De quoi soulager le travail du personnel de santé. Il sera produit par millions aux Etats-Unis et marqué CE (autorisation de circulation du produit pour les pays de l’Union européenne). Il pourra aussi être vendu dans l’UE via un acheminement par avion.

«D’une manière générale au niveau mondial, les laboratoires font face à une pénurie de tests», confirme Mark Miller, médecin et directeur exécutif des affaires médicales de BioMérieux, géant français du diagnostic médical. «Nos équipes de recherche ont travaillé dès la mi-janvier sur un kit qui sera disponible à la fin mars. Il sera produit à l’échelle industrielle à Verniolle, dans l’Ariège, et vendu dans plus de 160 pays.»

«D’une manière générale au niveau mondial, les laboratoires font face à une pénurie de tests»

Mark Miller

 

BioMérieux sortira encore deux autres tests ces prochains mois: un spécifique au SARS-CoV-2 (nom scientifique du virus) entièrement automatisé et très simple à utiliser pour les patients en état critique. Rendu du résultat en une heure environ. Le second permettra de détecter 21 pathogènes en plus du SARS-CoV-2 dans le même laps de temps.

Un autre laboratoire biomédical français, Eurobio Scientific, installé dans la région parisienne avec deux filiales aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, a également obtenu le marquage CE pour un test de dépistage du coronavirus.

De l’autre côté de la Manche, Achilleas Neophytou observe le même intérêt du système de santé public pour le développement de capacité de tests provenant des entreprises de biotechnologie privées. Responsable marketing de Novacyt, société spécialisée dans le diagnostic clinique, le manager ne sait plus où donner de la tête tant les demandes de renseignement ont explosé depuis la mise au point d’un test élaboré par sa division Primerdesign spécialisée dans le diagnostic moléculaire, une unité spin-off de l’Ecole de médecine de l’Université de Southampton. Une méthode rapide qui identifie l’ARN (matériel génétique) du virus SARS-CoV-2 en deux heures.

Un marché mondial

«Il s’agit d’un test moléculaire qui fonctionne en recherchant des séquences spécifiques de matériel génétique dont on sait qu’elles existent dans le virus responsable du Covid-19», explique Achilleas Neophytou. «Le procédé utilise une méthode commune connue sous le nom de «PCR en temps réel» permettant d’amplifier le matériel génétique du virus jusqu’à ce qu’il soit détectable par une machine.»

Primerdesign a également signé son premier accord de distribution important avec une société mondiale de sciences de la vie pour fournir le test à deux pays asiatiques en dehors de la Chine continentale. Les ventes devraient s’élever à 2,5 millions d’euros au cours des six premiers mois.

Un accord de fabricant d’équipements d’origine (OEM en anglais) doit également être conclu avec un groupe de santé américain. Aux Etats-Unis, Novacyt, comme bioMérieux, devra encore obtenir l’approbation de la Food and Drug Administration (FDA), organe qui autorise la vente des médicaments.

Du matériel high-tech réservé aux laboratoires professionnels répondant à des normes de sécurité strictes de niveau 2 sur 4. On ne plaisante pas avec le SARS-CoV-2, à l’origine de la pandémie actuelle de Covid-19. Vendredi, le cas d’une patiente de 32 ans décédée à Genève du coronavirus a suscité des interrogations sur la fiabilité du matériel de diagnostic. Selon nos confrères de la Tribune de Genève, elle aurait subi trois analyses négatives avant sa mort. Un test réalisé après son décès a confirmé que la cause était le Covid-19.


Les labos sont à plein régime

La capacité à tester est insuffisante aux Etats-Unis et la Suisse a encore de la marge.

Avec les cas de Covid-19 en hausse constante, les Etats-Unis souffrent de plus en plus des coups portés à leur capacité de réaliser des tests, comme le confirmait encore dernièrement un article du New York Times: «Les kits de test étant rares, les responsables de la santé tirent la sonnette d’alarme.» Le président Donald Trump a clamé sur son compte Twitter que toute personne qui a besoin de tests devait y avoir accès.

Il a promis l’envoi de plus d’un million de tests aux hôpitaux qui en ont besoin, mais on est loin du compte au pays de l’Oncle Sam: «La capacité à tester n’est actuellement pas adéquate et nous avons besoin de l’augmenter le plus vite possible», a déclaré sur Twitter Lisa Maragakis, directrice de la section prévention des infections de l’hôpital universitaire Johns Hopkins à Baltimore, dans le Maryland.

En Suisse, les laboratoires privés disent avoir encore une marge de manœuvre. C’est le cas à Allschwil (BL), où Viollier (700 collaborateurs, 34 sites) possède un des laboratoires les plus performants du pays. «Ces derniers jours, les médias ont rapporté que les capacités de test étaient épuisées et que les laboratoires étaient saturés», écrit la société bâloise, dont l’infrastructure peut soutenir une cadence de 2500 analyses journalières toutes maladies confondues.

Et d’ajouter: «Notre laboratoire dispose toujours d’une importante capacité de test pour la recherche du SARS-CoV-2. Elle est effectuée plusieurs fois par jour, 7 jours sur 7, les résultats étant ainsi disponibles dans un délai très court.» Et depuis le 6 mars 2020, les résultats des examens positifs concernant le SARS-CoV-2 n’ont plus besoin d’être confirmés par le Centre national de référence pour les infections virales émergentes à Genève, ce qui raccourcit le processus. PAS


Amplifier le génome du virus

Lors d’un dépistage du coronavirus, un prélèvement est effectué dans chaque narine en introduisant un écouvillon (sorte de coton-tige) jusque dans le nasopharynx (arrière du nez) du patient. Le frottis ainsi collecté est placé dans un liquide. A partir de là, c’est un laboratoire comme le Centre national de référence pour les infections virales émergentes (CRIVE) des HUG qui entre en action. Le virologue extrait alors de cet échantillon (qui contient des cellules, de la salive, des protéines) tout le matériel génétique des cellules et des virus. Il met ensuite ce matériel en présence d’outils moléculaires qui amplifient le génome du virus recherché. Cet outil d’amplification est la polymérisation en chaîne, ou PCR, qui permet de reproduire ce matériel génétique des millions de fois jusqu’à ce qu’il soit perceptible par la machine dans laquelle il est introduit. Des tests permettent de copier une toute petite partie du génome du virus. Il faut quatre heures avant d’avoir un résultat.

La particularité du CRIVE est d’avoir été le premier en Suisse à valider un test opérationnel pour le coronavirus. Quant aux tests qui arrivent sur le marché, une étude aura prochainement lieu dans le laboratoire genevois pour en vérifier l’efficacité. A noter que, comme pour les autres tests médicaux, l’organe de surveillance Swissmedic n’intervient pas: les dispositifs médicaux ne sont pas soumis à son autorisation. Il n’y a aucun registre et la responsabilité incombe aux compagnies qui mettent ces tests sur le marché. PAS

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