La Liberté

Sur la côte d’or du lac artificiel

Louis Ruffieux

Publié le 27.06.2019

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Opinion

Alors que le conseiller d’Etat Olivier Curty se félicitait de l’accession de Fribourg à la «Champions League», les premières réactions, sur les réseaux sociaux, montraient un enthousiasme plus proche de la cinquième ligue, voire un rejet du colossal projet du Golf Resort La Gruyère, à Pont-la-Ville. Trop gros pour être vrai, trop attentatoire à l’environnement, trop élitaire, trop tout, quoi.

C’est vrai qu’il en jette, ce mégaprojet, avec son hôtel 5 étoiles, ses restaurants, son vaste spa, ses dizaines de résidences et d’appartements de luxe, son nouveau parcours de golf, ses 350 millions de francs d’investissements, ses bailleurs de fonds chinois, français et suisses (La Liberté du 18 juin). Feu d’artifice, paillettes, gloire et beauté sur la côte d’or du lac artificiel!

Mais pourquoi donc cette réserve populaire? Depuis les années 2000, les Fribourgeois n’ont pas été privés d’intentions pharaoniques. La Broye fut le terrain de jeu favori des bâtisseurs de superlatifs. On se souvient, parmi les rêves à plusieurs dizaines ou centaines de millions, du Milavy Park qui devait concurrencer Europa Park, du Family Land, de la Pyramide à la gloire culturelle de la Suisse, du parc médiéval de Moudon… Moins glamour mais non moins mégalo, l’idée de construire à Romont une usine à 350 millions, offrant 750 emplois dans la construction de… tracteurs d’aéroport, fit les gros titres – jusqu’à celui de La Liberté révélant que le promoteur était un escroc.

Point commun à toutes ces folles ambitions: leur terminus au cimetière des grands desseins contrariés et des enfumages démystifiés. Voilà pourquoi chat fribourgeois échaudé se méfie de l’eau froide des rives villapontaines, où la vie du golf actuel a d’ailleurs été piquetée de difficultés existentielles et de projets non réalisés. Cette fois, les plans semblent reposer sur une constellation solide. Des questions subsistent pourtant. La clientèle des 5 étoiles et des résidences de prestige n’a-t-elle pas l’habitude, en quittant le tapis rouge du palace, de se mouvoir dans un biotope aux mêmes parfums d’opulence, boutiques grand luxe et avenues somptueuses? La fromagerie de Pont-la-Ville est sans doute excellente, mais la route à misères qui relie le village à Rossens n’a pas le profil des Champs-Elysées, malgré les millions investis pour empêcher les falaises de molasse de se répandre sur la chaussée…

Au scepticisme né des expériences avortées s’ajoute, dans l’air (pollué) du temps, le souci de préservation de l’environnement – en l’occurrence, un site idyllique. Cette préoccupation l’emporte désormais sur les promesses d’un gain économique. La théorie du ruissellement, selon laquelle les revenus des plus riches sont réinjectés dans l’économie pour finalement profiter à tous, convainc moins fortement que les images du ruisseau en furie du Val-de-Ruz.

Mais au golf, un handicap n’est pas rédhibitoire. Le projet de Pont-la-Ville, s’il se réalise, ne souffrira pas de ce déficit d’image: il est, pour l’essentiel, destiné à un monde qui ne rencontre pas les autres.

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