
Depuis la victoire des talibans, on nous serine que l’Afghanistan a replongé dans l’obscurantisme médiéval. Cette affirmation me fait bondir. Elle insulte la grandeur de cette région qui s’appelait à l’époque le Khorassan et dont l’Afghanistan d’aujourd’hui constituait le centre. Adolescent, j’étais fasciné par cette civilisation. Notre professeur d’histoire du Collège de Jamhour, au Liban, nous parlait du «cœur de la culture mondiale» et l’un de mes condisciples, Amin Maalouf, écrivit par la suite un beau roman intitulé Samarcande. Des cités comme Samarcande, Balkh ou Hérat brillaient de mille feux. En ces temps-là, c’était nous, Occidentaux, qui étions les djihadistes avec nos croisés et leurs sanglantes expéditions.
Non, l’Afghanistan n’a pas reculé vers le Moyen Age, mais ce pays a bel et bien régressé depuis le Moyen Age. Pour s’en convaincre, il suffit de faire la connaissance des multiples savants, poètes ou philosophes nés au Khorassan: Avicenne, l’un des pères de la médecine, le poète et astronome Omar Khayyam, Attar, auteur de la Conférence des oiseaux, Rumi le fondateur des derviches et tant d’autres. Je me concentrerai ici sur deux natifs de la ville de Balkh: Rumi et Iskandar. Rumi (né en 1207) est appelé communément Mawlana, ce qui signifie «notre grand Mollah», notre Maître. Il prône tout d’abord le dialogue entre les religions. Elles sont toutes des voies vers le divin. Et l’un des chemins, souligne Rumi, «vient de Byzance», capitale à l’époque des chrétiens d’Orient.
«Il faut oublier les querelles religieuses», prône notre vénéré Mollah. Mais il va encore plus loin en ouvrant sa porte aux non-croyants: «Qui que tu sois, viens, même si tu es athée!» Quant à la femme, elle apparaît comme «le rayon de la lumière divine». Et ce rayon, on ne le cache pas sous un épais voile noir, fût-il islamique. Rumi célèbre aussi l’Amour, essence du Créateur dont l’énergie gouverne le monde: «Sache que ce sont les vagues de l’Amour qui font tourner la roue des cieux», écrit-il. Par conséquent, il n’y a pas de Dieu des armées ou du djihad. L’associer à la guerre relève du blasphème. Si l’on croit qu’une puissance supérieure dirige des actes meurtriers, alors donnons-lui son vrai nom théologique: Satan… Shaitan en arabe. Ce sont bel et bien les versets sataniques que les terroristes coupeurs de têtes mettent en scène.
Iskandar de Balkh, un autre renommé Mollah du Khorassan, nous donne ce magnifique précepte éducatif: «Tu prendras peu à peu conscience que ce que tu imagines être toi est en réalité un amalgame de croyances qui t’ont été inculquées par d’autres.» Pour lui, l’éducation est une libération de tous les conditionnements, notamment religieux. Puisse-t-on enseigner ce principe dans les écoles afghanes actuelles! Or dans ces contrées qui furent des phares de la culture au Moyen Age, la religion n’est-elle pas devenue «l’opium du peuple», pour reprendre la formule de Marx?
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