La Liberté

Tirage au sort des juges: une nouvelle idée?

Olivier Curty

Publié le 16.11.2021

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Opinion

Il faut plus d’impartialité: tel est le leitmotiv des partisans de l’initiative pour la nomination des juges sur laquelle nous sommes amenés à nous prononcer le 28 novembre. Ceux-là pensent en effet que le tirage au sort est le moyen le plus objectif pour désigner les juges, sans recourir à des répartitions politiques selon les partis. De plus, cette manière de faire aurait l’avantage de respecter la séparation des pouvoirs, un des grands acquis du siècle des Lumières.

J’ai déjà évoqué cet aspect en tant qu’historien de l’Antiquité à propos des députés européens (La Liberté du 30 juin 2014). J’y reviens aujourd’hui dans un contexte différent. Certes, depuis 2014, le concept de tirage au sort en Grèce ancienne ne s’est pas modifié: à cette époque lointaine où le phénomène religieux était étroitement lié à tous les actes de la vie tant publique que privée, le tirage au sort était compris comme l’expression directe de la volonté des dieux. En 2014, lorsque l’idée de tirer au sort fut évoquée fugacement, il s’agissait alors de nommer des députés dépourvus de toute connaissance technique. Aujourd’hui, il s’agit en revanche de sélectionner des volontaires formés juridiquement choisis au hasard à partir d’une liste prédéterminée, ce qui diffère, convenons-en, du tout au tout.

Pour en revenir à la Grèce de l’Antiquité et, plus précisément, à l’Athènes classique, on croirait volontiers, à lire les auteurs anciens et les plaidoiries qui ont subsisté, que la situation était idéale selon les buts des initiants: les juges étaient en effet tirés au sort à partir d’une liste de volontaires. Mais il faut s’empresser de tempérer cette idée: le contexte judiciaire d’Athènes n’était pas comparable à celui de notre époque. Ainsi, le tirage au sort n’était valable que pour une durée d’un an, ce qui empêchait toute espèce de continuité. De plus, seuls les juges dont on avait besoin pour traiter les affaires du jour étaient répartis chaque matin dans différentes Cours, selon un système fort compliqué et complètement aléatoire. Un autre inconvénient du judiciaire antique est le fait que les juges athéniens n’avaient pas de connaissances en droit et qu’ils ressemblaient plutôt aux jurés de nos Cours modernes. Comme ces derniers, ils étaient souvent plus sensibles aux arguments émotionnels que techniques. Les accusés le savaient et leurs argumentations s’en ressentaient. En outre, il n’existait pas de jurisprudence, indispensable à toute justice actuelle.

On le constate aisément: le tirage au sort dans l’Antiquité avait un but complètement différent de celui de nos jours. Il ne visait pas à l’objectivité, mais cherchait à deviner l’opinion divine. Pourtant, le tirage au sort, sans qu’on puisse le qualifier d’exotique, a connu autrefois des épisodes digérés par nos institutions (comme le recommandait au XVIIIe siècle Montesquieu, le père de la séparation des pouvoirs).

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