La Liberté

Trois superflics français à La Mecque

En 1979, des milliers de pèlerins sont pris en otage dans la ville sainte. Le GIGN est appelé à la rescousse

Le siège de La Mecque débute le 20 novembre 1979 lors de la prière de l’aube, fréquentée par plus de 50'000 pèlerins. Il se prolonge jusqu’au 4 décembre.
Le siège de La Mecque débute le 20 novembre 1979 lors de la prière de l’aube, fréquentée par plus de 50'000 pèlerins. Il se prolonge jusqu’au 4 décembre.
Lors d'une première tentative d'assaut, 127 membres de la Garde nationale saoudienne sont tués.
Lors d'une première tentative d'assaut, 127 membres de la Garde nationale saoudienne sont tués.
Les forces saoudiennes, équipées de masques à gaz par le GIGN, prennent le contrôle de la Grande Mosquée en gazant les sous-sols. DR
Les forces saoudiennes, équipées de masques à gaz par le GIGN, prennent le contrôle de la Grande Mosquée en gazant les sous-sols. DR
le chef des rebelles, Jouhaymane al-Otaibi. DR
le chef des rebelles, Jouhaymane al-Otaibi. DR
Arrestation des disciples du chef rebelle Jouhaymane al-Otaibi. DR
Arrestation des disciples du chef rebelle Jouhaymane al-Otaibi. DR
Paul Barril et le commandant Christian Prouteau (à dr.). © DR
Paul Barril et le commandant Christian Prouteau (à dr.). © DR

Pascal Fleury

Publié le 25.05.2018

Temps de lecture estimé : 6 minutes

Arabie saoudite »   «Ce fut sûrement la plus grande prise d’otages qu’il y ait jamais eue!» Près de quarante ans après les faits, le capitaine Paul Barril1, ancien commandant en second du Groupe d’intervention de la Gendarmerie nationale française (GIGN), reste impressionné par la prise de la Grande Mosquée de La Mecque par un groupe de fanatiques religieux, alors que plus de 50 000 pèlerins participaient à la prière.

L’attaque a eu lieu le 20 novembre 1979, le premier jour du mois Moharram 1400, selon le calendrier musulman. Alors que l’imam lance l’appel à la prière, à 5 h 20, un homme d’une quarantaine d’années, au regard exalté et au visage couvert d’une barbe noire, s’empare du micro.

«Je m’appelle Jouhaymane al-Otaibi», annonce-t-il à la foule. Et se tournant vers son beau-frère Mohammed al-Qahtani, il le présente comme le Mahdi, le «sauveur» attendu par les musulmans (chiites comme sunnites) à la fin des temps: «C’est le Mahdi! Il vient apporter la justice sur terre. Reconnaissez le Mahdi, qui va nettoyer le royaume de la corruption!» A ce signal, près de 200 hommes brandissent les armes qu’ils cachaient sous leur robe. Des coups de feu éclatent, quelques policiers s’écroulent. Les pèlerins affolés courent dans tous les sens, ne sachant où se réfugier.

Famille royale visée

Relayé par les puissants haut-parleurs des minarets, le chef des rebelles dénonce pêle-mêle l’occidentalisation du royaume et la dépravation des mœurs de la famille royale des Al Saoud. Jouhaymane al-Otaibi n’est pas un inconnu. Appartenant à une vieille famille tribale sunnite du centre du pays, il s’est déjà fait épingler comme prédicateur et auteur d’un livre incendiaire, Les sept épîtres. Avec ses disciples, il cherche à renverser le régime qu’il accuse d’avoir trahi l’islam.

«C’était un ex-caporal de la Garde nationale saoudienne, considérée comme la garde personnelle du pouvoir et soumise à une stricte orthodoxie islamique», affirme Christian Prouteau, fondateur et premier commandant du GIGN, dans un récent ouvrage2 sur l’histoire de l’unité d’élite antiterroriste.

Alerté, le roi Khaled dépêche sur place ses frères Sultan, ministre de la Défense, et Nayef, ministre de l’Intérieur. Craignant un complot téléguidé de l’étranger, Nayef fait couper toutes les communications du royaume vers l’extérieur. Ce black-out va susciter des interprétations fallacieuses et de violentes réactions antiaméricaines, alors qu’à Téhéran, une autre prise d’otages vient de débuter à l’ambassade des Etats-Unis.

Entre-temps, les insurgés ont pris le contrôle de la mosquée, bloquant les portes et retenant une bonne centaine de pèlerins. Le port d’armes étant strictement interdit dans les lieux saints, le roi fait appel aux oulémas pour obtenir d’eux une autorisation exceptionnelle.

Le lendemain, la Garde nationale donne l’assaut, avec l’aide de conseillers américains. Mais les fanatiques ont positionné des snipers dans les minarets et disposent de lance-flammes. C’est un véritable massacre. Pas moins de 127 militaires sont tués et des centaines de personnes blessées, dans «un déluge de feu et un déluge de morts», selon le capitaine Barril.

Les insurgés se replient au rez-de-chaussée et dans les sous-sols de l’immense édifice. La situation se fige. Désemparé, le roi Khaled doit se résigner à demander de l’aide au président français Valéry Giscard d’Estaing.

Le 23 novembre, trois hommes du GIGN en civil débarquent en Arabie saoudite: le capitaine Barril, chef du détachement, et deux sous-officiers, Ignace Wodecki et Christian Lambert. Leur mission secrète, définie par le commandant Prouteau, est d’analyser la situation, de déterminer les moyens nécessaires pour une intervention et de remobiliser les troupes. Les préparatifs ont lieu dans un centre d’entraînement à Taïf, à 90 km de La Mecque.

Gaz lacrymogènes

Les officiers saoudiens se montrent toutefois méfiants après l’échec du premier assaut mené sur les conseils des Américains. Pour gagner leur confiance, le capitaine Barril joue alors le grand jeu: en plein cours, il les asperge par surprise de poudre lacrymogène (CB). Les officiers en larmes fuient vers la sortie. La preuve par l’acte est faite. Avec l’entraînement assuré par les trois experts, ainsi que 300 kg de poudre CB et des disperseurs livrés le 3 décembre par la France, l’assaut est un succès. Les hommes du GIGN ne participent toutefois pas directement à l’attaque. Ils auraient dû se convertir à l’islam pour pénétrer dans les lieux saints!

Au moins 117 insurgés sont tués lors de l’affrontement. Gazés dans le labyrinthe souterrain de la mosquée, les derniers rebelles ne tardent pas à se rendre. En janvier 1980, 63 d’entre eux, dont leur meneur, seront décapités. Mais leur discours continuera d’inspirer des djihadistes. Et certains rebelles rejoindront la nébuleuse al-Qaïda.

1 Le siège de La Mecque, documentaire de Dirk van den Berg, 2018.

2 Christian Prouteau et Jean-Luc Riva, GIGN – Nous étions les premiers, Editions Nimrod/Movie Planet, 2017.


 

Un tir de confiance qui marque les esprits

Si le roi Khaled d’Arabie saoudite demande l’aide de la France, en 1979, c’est sur recommandation d’un prince saoudien ayant visité trois mois plus tôt le Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) à Maisons-Alfort. Le prince a été vivement impressionné par les démonstrations des superflics. Et en particulier par le fameux «tir de confiance», qui consiste à tirer à 15 mètres sur une cible fixée sur le gilet pare-balles porté par un collègue! Lors du siège de La Mecque, plusieurs rebelles portaient des tenues de la Garde nationale, ce qui a provoqué de malheureuses confusions lors du premier assaut. Pour éviter de nouvelles bavures, les experts du GIGN imposent alors le gilet pare-balles comme moyen distinctif. Et pour prouver l’efficacité du matériel, ils réitèrent leur tir de confiance devant les officiers. Plus convaincant, tu meurs! PFY


 

DOCUMENTAIRE

Le siège de La Mecque

En novembre 1979 à la Mecque, un petit groupe d'islamistes radicalisés prend en otage 100'000 pèlerins durant trois semaines dans l'enceinte de la grande Mosquée.
A l'aide d'archives inédites, ce documentaire met en lumière l'un des secrets les mieux gardés de l'histoire moderne. Une attaque qui a marqué le début du terrorisme religieux que nous connaissons aujourd'hui.
Réalisation : Dirk van den Berg; durée: 52'

Articles les plus lus
Dans la même rubrique
La Liberté - Bd de Pérolles 42 / 1700 Fribourg
Tél: +41 26 426 44 11