La Liberté

Un objet politique non identifié

Gilbert 
Casasus

Publié le 28.09.2017

Temps de lecture estimé : 2 minutes

Tout le monde en parle. L’expression se faufile le long d’une conversation, entre les lignes et les mots d’un article, voire au détour d’une conférence plus ou moins académique. Chacun est persuadé de l’employer à bon escient, sauf que personne ne connaît au juste la définition de «la société civile». Mais ce n’est pas grave, car elle a bonne presse. A défaut de savoir ce qu’elle est, on peut savoir ce qu’elle n’est pas. Au mieux, elle n’est ni «la société militaire», ni «la société religieuse» et juridiquement elle n’est pas non plus «le pénal». De fait, elle reste un «objet politique non identifié», un OPNI, dont se targuent les personnes qui s’y identifient. Libre à eux de le faire, mais cela n’a guère de sens. Sinon celui d’accorder à «la société civile» une reconnaissance politique à laquelle elle ne devrait pas avoir droit.

Souvent comprise, dixit Le Larousse, comme «l’ensemble des individus extérieurs à la classe politique», elle regrouperait selon d’autres approches un ensemble d’associations volontaires, indépendantes de l’Etat, du marché et de la famille ou de la vie privée. L’idée paraît alléchante, mais elle est totalement dénuée de tout fondement. Elle ne résiste pas la moindre seconde à une analyse sérieuse, tant sa crédibilité est immédiatement mise à mal. Cela concerne notamment le système de milice suisse, où le mélange des genres entre les mondes politique, économique et associatif est monnaie courante.

Tel est le cas de nombreux conseillers nationaux qui sont professionnellement liés à des intérêts privés et exercent en même temps une activité au sein d’une organisation faîtière. Par conséquent, ils sont à la fois dans la «société politique» et dans la «société civile», ce qui est antinomique par définition. L’utilisation abusive de l’expression «société civile» ne semble pourtant pas connaître de limites. Elle concerne aussi ses «représentants» qui, contrairement aux élus du suffrage universel, ne sont pas soumis aux mêmes processus électoraux. Alors que les derniers nommés se prévalent d’une légitimité directement issue des urnes, les premiers apparaissent au gré de plusieurs événements ou mécanismes dont les règles ne sont pas toujours celles en vigueur dans un Etat de droit. Non que ces représentants, souvent autoproclamés, ne représentent rien, mais certainement moins que les représentants proclamés par le peuple.

En ce sens, «la société civile» n’est autre qu’un élément de langage qui s’expose à la critique démocratique et qui s’oppose à l’esprit de la polis grecque. Conçue comme une cité administrée par des citoyens libres et autonomes, cette polis a donné naissance à la politique dans ce que celle-ci incarne de plus noble. Rendons-lui alors ses lettres de noblesse pour toujours privilégier la citoyenneté à ladite «société civile» qui profite aujourd’hui d’une crise de l’expression citoyenne qu’elle a elle-même nourrie et suscitée.

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