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Religions

Les Iraniens en veulent aux mollahs

La répression orchestrée par le régime a jeté un puissant discrédit sur l’islam chiite dans la population

Manifestante contre la répression du régime des mollahs, lors d’une grande manifestation en Italie.

 Raphaël Zbinden, Cath.ch

Raphaël Zbinden, Cath.ch

4 mars 2023 à 02:01

Islam » La jeune femme projette à terre d’un vif coup de main le turban du mollah, avant de s’enfuir précipitamment. D’autres actes similaires sont visibles sur YouTube. Un geste symbolique qui s’est multiplié dans tout l’Iran suite à la mort de Mahsa Amini en septembre dernier, juste après son arrestation par la police religieuse. Pour Cyrus Schayegh, professeur à l’Institut de hautes études internationales et du développement de Genève, la brutale répression orchestrée par le régime a jeté un puissant discrédit sur l’islam chiite dans la population. Décryptage.

Dans quelle mesure les troubles actuels en Iran sont-ils liés à la religion?

Cyrus Schayegh: Le problème est multidimensionnel. Divers aspects religieux, ethniques, politiques et culturels sont imbriqués. Certaines minorités ethniques qui se positionnent plutôt contre le régime, telles que les Kurdes ou les Baloutches, sont en même temps à majorité sunnites. Sur le plan socioculturel, il est clair que le régime utilise la religion pour asseoir sa légitimité. Il est donc difficile de démêler le religieux du politique.

Avec quel effet sur le tissu religieux?

La théocratie a joué contre les intérêts de l’islam. Comme le chiisme est considéré depuis 1980 comme de l’intérêt de l’Etat, la répression exercée par ce dernier est associée à la religion. La vague «d’agressions» contre les clercs, telle que les renversements de turbans, en sont un signe. C’est quelque chose d’assez nouveau qui décrit bien l’aversion grandissante de nombreux Iraniens pour le clergé. Depuis un certain temps, l’athéisme et l’agnosticisme ont gagné du terrain dans la société, ainsi que le soufisme (une branche spirituelle de l’islam). Des spiritualités alternatives, notamment dans le courant New Age, suscitent aussi beaucoup d’intérêt.

Y a-t-il une contestation à l’intérieur du clergé chiite?

Quelques représentants religieux ont commencé à parler, mais ils sont peu nombreux, et le régime fait tout pour les réduire au silence.

Le voile islamique représente-t-il réellement une tradition en Iran?

Il existe certes des traditions vestimentaires en ce sens. Mais aujourd’hui, le voile ne joue plus un rôle très important, les gens y sont de moins en moins attachés. Ils rejettent l’habit islamique également parce qu’il est devenu un symbole central de la répression politico-religieuse.

Qu’en est-il au niveau politique?

Une lutte au sujet des réformes est en cours depuis quelque temps dans le cercle du régime. Il semble que le noyau dur tente à tout prix de garder la main. L’appel au référendum populaire sur l’avenir du pays par Mir Hossein Moussavi, qui a été premier ministre de la République islamique de 1981 à 1989, va obliger les autres politiciens à se positionner. Certains réformistes ont commencé à se distancier. D’autres, tels que l’ancien président Mohammad Khatami, se situent dans une sorte de «vide», ne sachant comment réagir pour l’instant. Mais il est sûr qu’un point de non-retour a été atteint. Même s’il est impossible de dire comment la situation va évoluer.

Les contestataires peuvent-ils compter sur la communauté internationale?

C’est une autre évolution inédite concernant l’Iran: les démocraties occidentales, en particulier européennes, ont commencé à se distancier publiquement du régime. Avant septembre 2022, personne, en Europe, ne songeait à marginaliser Téhéran, mais maintenant, il y a des mouvements dans ce sens. Il n’y aura bien sûr pas une rupture totale des relations diplomatiques. Mais il y a de plus en plus de tentatives de la part des Occidentaux de rencontrer des opposants, dont des politiciens, des responsables régionaux… Le fait que l’Iran soutienne militairement la Russie en Ukraine ne renforce bien sûr pas sa position. Le comportement de Téhéran commence à être un problème direct pour les Européens.

Mais quel soutien a le régime à l’intérieur du pays?

Je dirais que de 20 à 25% de la population est clairement pour le régime, pour des raisons diverses, idéologiques, culturelles, liées à des intérêts économiques… Une partie de ces personnes serait prête à soutenir le régime jusqu’au bout. Il s’agit d’une minorité, mais stable et motivée. De l’autre côté, je pense que tout le reste des Iraniens est contre le régime. C’est certes une grande majorité, mais au sein de laquelle la plupart des gens restent silencieux. Peu d’entre eux vont manifester. Beaucoup n’agissent pas de manière visible de peur de perdre leur travail, de se faire arrêter, voire tuer. L’opposition peut-être la plus problématique pour le régime vient des minorités ethniques, notamment dans le Kurdistan et le Baloutchistan, qui sont, comme il a été dit, à majorité sunnites.

L’espoir d’un changement de régime est-il réaliste?

C’est très difficile à dire pour l’instant. Le régime est encore fort, avec une assise sociale solide. De l’autre côté, il y a une opposition qui reçoit de plus en plus d’attention et de soutien de l’extérieur. Son succès va peut-être dépendre de sa capacité à s’unir et à s’organiser. Pour moi, ce sera un processus assez long et incertain, où il n’y aura pas de vainqueur définitif.

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