La Liberté

Ibrahim Maalouf, rassembleur hédoniste

De retour au Montreux Jazz Festival 11 ans après son premier concert, le trompettiste franco-libanais y a déployé son métissage heureux, généreusement partagé.

Ibrahim Maalouf a conquis tout le monde jeudi soir à Montreux. © Lionel Flusin
Ibrahim Maalouf a conquis tout le monde jeudi soir à Montreux. © Lionel Flusin


Thierry Raboud

Publié le 14.07.2017

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Comment ne pas apprécier Ibrahim Maalouf? Son pavillon semble assez large pour saisir l'écho de toutes les influences, flatter toutes les audiences. Chaque note sortie de sa trompette paraît en contenir tant d’autres qu’on ne sait plus trop à quoi rattacher sa musique, sinon au seul plaisir qu’elle procure.

soyons pas dupes: les catégories n’intéressent que les journalistes. Le public n’en a cure, et il s’en porte bien. Jeudi soir à l’Auditorium Stravinski, le show du musicien Franco-Libanais a ratissé très large, et tout le monde s’est trouvé conquis – journalistes compris.

Dès le premier morceau, Elephant's Tooth, il y avait déjà tout. Une rythmique déstructurée posée sur un souple Rhodes, un funk binaire superposé à la batterie, des riffs de cuivres ourlés de fins mélismes. A la fois audacieux et accessible. Oui, son art est complexe en s’efforçant d'avoir l’air simple. L’exact contraire de ce que proposait un groupe comme Yello le soir d’avant...

Il faut dire qu’Ibrahim Maalouf est, avant tout, un extraordinaire instrumentiste. Sa technique, éprouvée et primée tant dans le carcan classique que dans chez les jazzmen, lui autorise un total éclectisme. Sur son instrument à quatre pistons, il glisse en harmoniques aiguës, dévale ses modes orientaux en subtils quarts de tons, improvise avec panache. Il semble pouvoir tout faire, et le fait.

Un funk qui s’étale en mélopée nostalgique, un groove qui s’abrase au contact du rock, un reggae qui devient ska, le tout mâtiné de pop intelligente, jusqu’au celtic-rock tambourinant donné en bis. Sa musique hédoniste tient du mezzé, métissage heureux qu’il partage généreusement, sur les réseaux sociaux mais aussi sur scène.

Et ça marche: peu comme lui sont capables de faire se lever le balcon de l’Auditorium! Lorsqu’il convie le public à souligner ses rythmiques asymétriques, tout le monde s’y essaye. Le voilà prof de solfège. «Vous êtes allés au conservatoire?» Puis, devant l’hébétude générale: «Ce n'est pas grave, il n’y a qu’à Istambul qu’ils ont à peu près réussi à taper ça dans les mains».

Il est là, l’art d’Ibrahim Maalouf: faire de la musique une fête, mais avec assez de nonchalance pour que chacun s’y sente convié. Un problème technique voit des techniciens tatoués faire irruption pour redémarrer ses machines: il improvise au piano en faisant participer ses auditeurs attentifs. Puis après un long solo de trompette esseulée, il repeuple la scène avec la trentaine de jeunes musiciens de la Fanfaribole, un ensemble du Conservatoire cantonal valaisan. La foule est à la fête.

Démago? A vrai dire très beau.

Calibré? Oui, mais engagé.

Complaisant? Eloquent.

Dimanche, il annonçait sur Facebook son intention de raccrocher sa trompette dans quatre ans, à l’occasion de ses 40 ans. Peut-être sait-il qu’il n’aura alors plus personne à convaincre.

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