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Bavaud aurait pu être un héros

A Forgotten Man, le film de Laurent Nègre, est en lice aux Journées de Soleure

Michael Neuenschwander incarne Heinrich Zwygart. © Bord Cadre films
Michael Neuenschwander incarne Heinrich Zwygart. © Bord Cadre films

Tania Buri

Publié le 24.01.2023

Temps de lecture estimé : 5 minutes

Cinéma » Après les festivals de Zurich et Genève, A Forgotten Man du réalisateur genevois Laurent Nègre est en lice pour le Prix du public aux Journées de Soleure. Dans ce film projeté dimanche dernier et ce soir, l’ombre de Maurice Bavaud, l’étudiant neuchâtelois de 22 ans qui a manqué de tuer Hitler en 1938, hante l’ambassadeur suisse en poste à Berlin.

Heinrich Zwygart jette des documents officiels dans le feu. Hitler s’est suicidé, l’Allemagne a perdu la guerre et l’ambassadeur suisse à Berlin doit quitter la capitale allemande. Dans les flammes, une photo de Maurice Bavaud. Mais cela ne suffira pas à effacer de sa mémoire le jeune homme, décapité en 1941 et pour qui il n’a pas levé le petit doigt. Son souvenir le hantera.

«C’est un refoulé»

«Pour moi c’est un refoulé qui n’a jamais été abordé d’une façon frontale, directe et globale, a dit Laurent Nègre à Soleure. Or la position de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale, la manière que les autorités ont eue de se comporter ont des conséquences encore palpables aujourd’hui.»

Le scénariste et réalisateur passionné par cette période de l’histoire a eu un déclic en découvrant le texte de Thomas Hürlimann L’ambassadeur lors d’une rencontre avec l’auteur au Théâtre de Poche à Genève. Avec ce personnage, je peux raconter «tout ce qui m’intéresse dans l’ambiguïté de la position de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale».

Dans l’adaptation du personnage de Hans Frölicher, le vrai ambassadeur en poste à Berlin de 1938 à 1945, Laurent Nègre a entre autres intégré les éléments phares du travail de recherche de la commission Bergier.

Le réalisateur de 49 ans n’a délibérément pas choisi le documentaire pour parler de cet épisode de l’histoire, mais la fiction documentée. «Il y a eu énormément de documentaires qui traitent de la Seconde Guerre mondiale», relève-t-il. Pour lui, «le chemin le plus court entre un être humain et un fait, c’est souvent une histoire. Le langage de la fiction permet aussi d’approcher une vérité.»

Distinguer le fait historique de la fiction est un débat qui s’est invité récemment autour de la série The Crown, une fiction historique qui se penche sur la famille royale britannique. C’est aussi un questionnement pour Laurent Nègre. «Quand on commence à scénariser un film de fiction en s’appuyant sur des faits historiques, on se questionne forcément sur la limite, sur le degré de licence poétique que l’on s’accorde pour que la dramaturgie soit efficace.»

Une personne qui ne serait pas férue d’histoire peut plonger en toute confiance dans le film du réalisateur genevois. «L’intention est de transmettre, de permettre aussi à une génération plus éloignée de la Seconde Guerre mondiale de soulever des questions qu’on lui a rarement présentées dans son parcours scolaire.»

Angles morts

«Pour les moins jeunes, ce film est une façon de leur rappeler qu’il y a des angles morts dans l’histoire de la Suisse entre 1939 et 1945.» Au retour de Heinrich Zwygart en Suisse, le Conseil fédéral le laisse tomber. Le gouvernement, qui cherche les bonnes grâces américaines, prétend que seule l’armée et le général Guisan ont sauvé la Suisse et non cette valse-hésitation diplomatique avec le troisième Reich, entre alignement et neutralité.

A Maurice Bavaud, qui a voulu tuer Hitler, et Hans Frölicher, qui a «collaboré» avec les nazis, Laurent Nègre ajoute le nom de Carl Lutz, un consul suisse en place à Budapest. Cet homme a utilisé sa position dans la diplomatie pour émettre de faux passeports en masse, ce qui a permis de sauver 40 000 à 50 000 personnes des chambres à gaz. «Avec ces trois personnages, la Suisse officielle a d’abord choisi de les déclasser et d’enterrer le dossier. Elle n’a pas fait le choix de faire face et de prendre parti», souligne le réalisateur.

Tourné à Lavigny

Laurent Nègre a fait le choix du noir et blanc pour ce film. «Ou plutôt d’une gamme de gris, qui reflète bien les contradictions de Heinrich Zwygart, incarné à l’écran par le comédien bernois Michael Neuenschwander. On n’est pas dans un film manichéen qui juge un personnage de loin. On essaie de se rapprocher de lui, de vivre avec lui toutes les ambiguïtés de son parcours.»

Face à Zwygart, le personnage de Nicolas incarne une sorte de «Bavaud par procuration». Le «vrai Maurice Bavaud» n’a jamais eu droit à une seule visite de l’ambassadeur suisse à Berlin. Mais surtout, le Conseil fédéral d’alors n’a que «vaguement» envisagé de le secourir. A ce jour, le jeune Neuchâtelois n’a été que partiellement réhabilité.

Le film a été tourné en 18 jours dans un château à Lavigny (VD) en hiver 2020. Produit par Dan Wechsler de Bord Cadre films en coproduction avec une société de production anglaise, A Forgotten Man sortira dans les salles de Suisse romande fin avril après celles de Suisse alémanique fin mars. ATS

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