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René Char ressourcé

Le grand poète français est à l’honneur à la Fondation Jan Michalski. Où l’on remonte aux sources vives de cette œuvre réputée hermétique


 Thierry Raboud

Thierry Raboud

15 juin 2019 à 04:01

Littérature » «Certains jours il ne faut pas craindre de nommer les choses impossibles à décrire.» La fugitive insouciance d’une fauvette des roseaux, les traces frémissantes d’un paradis perdu. René Char (1907-1988) s’en fit le chantre exigeant, au fil d’une œuvre-archipel née dans les convulsions du surréalisme, mûrie dans le silence du maquis, épanouie dans les replis giboyeux de son Vaucluse natal.

«René Char est le plus grand événement dans la poésie française depuis Rimbaud», écrivait l’ami Camus, qui en connaissait un rayon. Un événement célébré depuis hier et jusqu’en septembre à la Fondation Jan Michalski de Montricher (VD), qui cartographie les Sources et chemins de cette œuvre, défrichant quelques sentes méconnues, surtout déchiffrant cette poésie taillée à même la pierre et l’écorce. Interview de la commissaire Danièle Leclair, maître de conférences à l’Université Paris Descartes et spécialiste de l’œuvre.

Alors que l’on connaît surtout René Char en poète résistant, pourquoi avoir choisi de présenter son œuvre ultérieure?

Danièle Leclair: En France, le recueil Fureur et Mystère (1948) marqué par la Seconde Guerre mondiale et l’engagement de Char dans la Résistance est le plus connu. C’est celui qui est toujours cité et régulièrement mis au programme des examens. Il a en quelque sorte figé sur son piédestal la figure du poète résistant, au point d’occulter le reste de l’œuvre. J’ai cherché à ne pas sacraliser le poète, à ne pas le cantonner dans cette image glorieuse mais distante, et à montrer d’autres facettes de son travail.

En quoi la Seconde Guerre mondiale marque-t-elle une rupture dans son œuvre alors imprégnée de surréalisme?

Pour René Char, jeune poète de Provence invité à Paris par Paul Eluard, la période surréaliste a été très fertile, même s’il a fini par s’en éloigner. La guerre marquera alors une vraie rupture, qui voit le poète entrer en Résistance en 1942 après avoir été mobilisé dans l’armée française. En effet, ces années lui font faire l’expérience de la lutte armée et vivre les incertitudes du combat. Une longue période durant laquelle il prend des notes qui deviendront plus tard les Feuillets d’Hypnos. Mais le poète résistant ne sera pas poète de la Résistance: il refuse de publier pendant la guerre, préférant prendre les armes plutôt que la plume. Ce n’est qu’à la Libération que son œuvre se redéploiera dans une forme de célébration heureuse, plus accessible qu’à ses débuts.

Car le poète est réputé hermétique…

C’est en cela que les recueils d’après-guerre, plus aisément compréhensibles, constituent une bonne porte d’entrée dans son œuvre. Sa poésie se fait alors chant, portée par une tendresse et une grande clarté, comme traversée par le bonheur de dire les lieux et les amis retrouvés. Des poèmes susceptibles d’émouvoir et de toucher tout lecteur.

Comment le retour aux sources, dans son Vaucluse natal, nourrit-il l’inspiration de Char?

Le poète célèbre son accord profond avec ses lieux: la rivière de la Sorgue, la fontaine de Vaucluse, les collines environnantes… Cet espace nourrit profondément sa poésie, c’est pourquoi il m’a semblé important d’en montrer plusieurs photographies dans l’exposition. Quand il est à Paris, le souvenir du lieu subsiste. A partir de 1960, Char s’achète une petite maison dans le Vaucluse et y revient fréquemment, invitant ses amis à découvrir ce «pays» dont il ne cessera de s’inspirer.

Une attention à la nature environnante qui va de pair avec un certain désengagement…

Engagé sur le terrain pendant la Résistance, il sera dégoûté par les manigances, les récupérations qui font suite à la Libération, et tentera dès lors de se tenir à distance du monde. «Sortir de l’Histoire se peut», écrira-t-il, toujours plus détaché de l’euphorie moderniste et économique des Trente Glorieuses. Son chemin se fera alors effectivement plus solitaire.

Faut-il donc le voir en poète reclus?

Au contraire: après la parution de Fureur et Mystère, Char a acquis une très grande notoriété en France et beaucoup de jeunes poètes sont alors venus à lui. Il les reçoit, les encourage, dans un véritable échange. Les peintres seront de même touchés par cette poésie, comme Georges Braque et Joan Miró, qui deviendront ses amis.

La poésie de René Char est-elle tentative de sauvegarder un monde fragile, en péril?

Char va effectivement se montrer très sensible à la dégradation de son environnement. Il engagera alors la lutte, sans succès, pour s’opposer au Gouvernement français qui prévoyait d’installer des missiles nucléaires sur le site sauvage du plateau d’Albion.

Et lorsque le bourg de l’Isle-sur-Sorgue et ses environs se voient altérés par le développement économique, le poète se tourne vers les montagnes environnantes, encore très peu fréquentées à l’époque. Il y trouvera des traces des temps lointains, silex taillés et galets préhistoriques, qui le rapprochent de ces hommes du passé et renouvellent sa confiance dans l’art face aux déceptions du présent. Sa poésie est alors une manière de renouer un contact sensible avec le monde, jusqu’à porter le regard vers les étoiles dans un grand mouvement d’ouverture.

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