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Monde

Réforme des retraites. La France brûle-t-elle?

Violences, pénuries, visite du roi Charles annulée: après les gilets jaunes, le pays à nouveau en crise


Antoine Castineira, Paris

Antoine Castineira, Paris

28 mars 2023 à 04:01

Retraites » La scène est surréaliste. Elle se déroule au cœur de Paris après la manifestation record de jeudi dernier contre la réforme des retraites. Sur la terrasse bondée du Sélect, dans le quartier du Sentier, à deux pas de l’Opéra, les clients boivent une bière à la tombée de la nuit. Tandis qu’ils trempent leurs lèvres dans la mousse, ils suivent du regard un groupe de CRS qui arrivent au pas de course. Un garçon de café observe la scène, immobile et silencieux, son plateau posé sur la paume de la main au-dessus de sa tête.

Les forces de l’ordre s’arrêtent devant lui et lancent des grenades lacrymogènes contre des manifestants qui boutent le feu à des poubelles un peu plus loin. Les flammes s’élèvent rapidement devant les immeubles. Les pompiers interviennent toutes sirènes hurlantes. Sur la terrasse du Sélect, aux premières loges, les clients commentent la scène en finissant leur bière. Par précaution, certains se replient vers l’intérieur pour se protéger des lacrymogènes.

Scènes de chaos

Ces deux mondes qui se côtoient tendent à démontrer que la France entière n’est pas en flammes, qu’elle continue à tourner tant bien que mal. Deux heures plus tard, le trafic reprend sur les grands boulevards voisins. Les voitures roulent sur les débris laissés par les heurts entre manifestants et forces de l’ordre un peu plus tôt. Les gens sortent des théâtres du quartier et marchent sous la pluie en contemplant les dégâts: les fast-foods dévastés, les panneaux publicitaires brisés, les succursales bancaires taguées.

Comme si une tornade destructrice avait déferlé sur le centre de Paris. Ces scènes de chaos ne sont pas l’œuvre des syndicats et de leurs militants, qui ont défilé dans le calme comme lors des huit précédentes journées de manifestation. Ce sont des dénommés «black blocs», qui ont devancé le cortège, qui ont dévasté les rues de la capitale.

Il ne reste pourtant de cette journée de mobilisation contre la réforme des retraites que ces images de chaos et une odeur persistante de poubelles brûlées. Oublié le rebond du nombre de manifestants partout en France après le passage en force du gouvernement, qui a eu recours une semaine plus tôt à l’arme constitutionnelle du 49.3 pour adopter la réforme. Faute de majorité, il ne l’a pas soumise à l’Assemblée nationale. Sur les chaînes d’info, on compare les violences à celles des «gilets jaunes» qui avaient mis le feu au pays il y a quatre ans à peine.

Pour couronner le tout, Emmanuel Macron devait recevoir le week-end dernier le roi Charles III pour sa première sortie à l’étranger ni plus ni moins qu’au château de Versailles. Le président s’est finalement résolu à reporter cette visite, qui aurait sans doute pris une tournure symbolique avec de probables manifestations autour du palais où résidait Louis XVI lorsque le peuple français prenait la Bastille en 1789. Il était raisonnable de ne pas jeter plus d’huile sur le feu, même si ce report a contribué à dégrader l’image de la France au-delà de ses frontières.

Une bataille rangée

Et s’il n’y avait que les flammes dans les rues de Paris… Il y a aussi les poubelles qui jonchent encore et toujours les rues de Paris, les pénuries d’essence dans les stations-service, ou encore les trains et les avions qui circulent de manière épisodique. Sans oublier cette manifestation qui a mis le feu aux poudres samedi dans l’ouest du pays, où près de 6000 manifestants écologistes se sont retrouvés pour s’opposer à un projet de retenue d’eau. Ils ont affronté pas moins de 3000 gendarmes et policiers, soit un pour deux opposants à ce projet de bassines qui doivent permettre l’irrigation de terres agricoles.

Une véritable bataille rangée en pleine campagne, avec près de 4000 grenades lacrymogènes lancées. Résultat: deux manifestants dans le coma, dont un qui se trouve entre la vie et la mort, mais aussi de nombreux blessés de part et d’autre. Des images qui ont renforcé le sentiment d’un pays en ébullition, incapable d’éviter l’affrontement. Et qui ont relancé le débat sur les violences policières. Le Conseil de l’Europe s’est d’ailleurs alarmé de «l’usage excessif de la force» en France.

A un an des Jeux olympiques de Paris, autant dire que l’image internationale du pays est aussi peu attractive que les eaux de la Seine où doivent se produire des épreuves de nage libre. La France d’Emmanuel Macron se trouve plongée aujourd’hui dans une crise politique, déclenchée par le recours au 49.3 pour adopter une réforme très largement contestée par les Français. Elle est aussi sociale, avec des manifestations massives dans de nombreuses petites villes.

Le feu qui couvait sous les cendres depuis les «gilets jaunes» a repris de plus belle. D’autant qu’ils avaient obtenu avec la violence 17 milliards de mesures sociales de la part du gouvernement, alors que les syndicats ne l’ont pas fait reculer d’un centimètre en manifestant pacifiquement. Mais cette crise est aussi institutionnelle. Elle remet en cause la toute-puissance d’un chef de l’Etat qui impose une réforme aussi impopulaire, esquivant un parlement où il n’a pas assez de soutien.

Résurrection socialiste?

Face à ces crises, la Constitution n’accorde que deux sorties au chef de l’Etat. Un changement de la première ministre, Elisabeth Borne, qui s’est elle-même présentée comme un «fusible». Une mesure qui entraînerait un renouvellement d’un gouvernement usé par la séquence des retraites. Ou alors une dissolution de l’Assemblée nationale. Cette deuxième solution serait aux risques et périls d’Emmanuel Macron.

Lors d’une législative partielle ce week-end dans le Sud-Ouest, la candidate macroniste a mordu la poussière dès le premier tour avec à peine 10% des voix. Au second, la sortante de l’alliance de gauche (Nupes) affrontera, ô surprise, une dissidente socialiste opposée à l’alliance avec les insoumis de Jean-Luc Mélenchon. Les militants PS qui avaient rejoint Emmanuel Macron seraient-ils en train de revenir au bercail? Il est trop tôt pour le dire. Mais si la socialiste dissidente s’impose dimanche prochain, ce serait une première victoire pour son principal soutien: la présidente de la région Occitanie, Carole Delga, à qui on prête des ambitions présidentielles.

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