La Liberté

Chapitre 1 – Le Petit Dieu

Les histoires sont les portes de l’imaginaire, il ne suffit que de les ouvrir, le reste suivra… C’est avec cet état d’esprit que la Page Jeunes brise la frontière entre le réel et l’irréel, apportant un souffle nouveau à travers ses chroniques. Ainsi, chaque mois, une porte s’ouvrira, et avec elle, la promesse d’un autre monde.

"Le soleil commençait à peindre le ciel de ses rutilantes couleurs et soulevait çà et là des nuages de brume sur une étendue de neige et de glace." ©Kimy Dieu
"Le soleil commençait à peindre le ciel de ses rutilantes couleurs et soulevait çà et là des nuages de brume sur une étendue de neige et de glace." ©Kimy Dieu

Kimy Dieu

Publié le 22.01.2023

Temps de lecture estimé : 7 minutes

L’article en ligne – Nouvelle » La nuit s’était déjà faite reine que le jour commençait à poindre dans la taverne de la Rose des Vents. « Une soirée mémorable », tels sont les mots qu’avaient employés la serveuse pour décrire l’évènement qui se jouerait sous les yeux des nombreux clients. Une histoire, son histoire, allait être contée…

Deus Minor. Longues avaient été les nuits où il avait contemplé cette constellation d’un œil admiratif. L’esprit perdu dans les méandres de la voûte céleste, il se plaisait à retracer du bout de son doigt les traits invisibles qui reliaient les points vacillants du ciel nocturne. Un voyageur, voilà le dessin que celui-ci peignait. Avec son vulgaire chapeau, ses bras ballants, et son regard tourné vers un horizon que lui seul semblait percevoir, ce voyageur paraissait se rire du monde, un monde dont il se plaisait à tirer les cartes. 

- Encore à rêvasser, même à ces heures. 
- J’apprécie que tu veuilles me témoigner ta compagnie, mais je crois que j’ai dépassé l’âge d’être chaperonné, Daxe.
- Bien sûr, petit frère, bien sûr, déclara ce dernier en se dirigeant vers lui. Que tu le veuilles ou non, tu auras toujours besoin de quelqu’un à qui confier tes petites et insignifiantes pensées.
- Sans doute, répliqua-t-il.

Depuis qu’il le connaissait, Daxe avait toujours eu ce don d’espièglerie qui mettait à rude épreuve les nerfs de son entourage ; se montrer taquin envers les autres semblait être un de ses passe-temps favori, surtout s’il s’agissait de son petit frère. Une lueur d’amusement animait sans cesse son regard, à croire que la vie n’était qu’un jeu dont la victoire ou la défaite lui importait peu. Cette insouciance l’avait toujours fasciné, car malgré la bêtise dont celui-ci pouvait faire preuve, l’échec était une notion qui lui était étrangère. A ses yeux, son grand frère demeurait la source de bien des mystères.

S’allongeant à ses côtés, Daxe laissa échapper un long soupir. Il ferma ses paupières, et pendant quelques instants, on vit s’esquisser sur son visage le sourire d’un homme heureux pour un rien. La nuit était calme, oui, si calme. Le froid qui régnait sur cette plaine recouverte d’un manteau blanc venait lécher la peau nue de leur torse, tandis que le silence chantait pour eux dans un écho démesuré. Peut-être que cet air ne plut à Daxe, car celui-ci laissa entendre ses notes qui s’accordèrent en un rire dont l’éclat aurait fait le délice de quiconque aurait pu l’entendre.

- Qu’y a-t-il de si drôle, demanda-t-il.
- Rien, répondit Daxe saisi d’un fou rire, Rien, simplement que nous devons partir tôt demain, et regarde-nous. Éveillés comme des loups prêts à passer à l’attaque, il se fait tard, et pourtant, nous sommes là, tous les deux, semi-vêtus, allongés sur une immensité de neige et de glace, sous la bannière de notre cher Deus Minor. Qu’y a-t-il de plus insensé que ça ?
- Nous pourrions retourner au campement, mais je doute que l’envie te prenne.
- Tu doutes bien, petit frère. Cette nuit m’appartient et je la serre de mon poing, déclara Daxe en levant sa main vers le ciel moucheté d’étoiles. Tu devrais en faire de même, plutôt que de pointer ton doigt sur le Petit Dieu, à force, tu risques bien de le faire rougir.
- Faire monter le rouge à un dieu, est-ce vraiment possible ?
- Il me tarde de le découvrir. Quoiqu’il en soit, il sera toujours plus compliqué d’embarrasser celui-là, plutôt que les autres divinités.
- Pourquoi donc ?
- Ahh, soupira Daxe, J’ai manqué ton éducation, petit frère. Deus Minor, cette constellation n’a jamais représenté une déité. Elle est symbole du sentier sempiternel sur lequel nous marchons, nous, les gitans, les « Sans-Dieu ». Nous sommes des voyageurs, nous ne nous arrêtons jamais de cheminer à travers le monde. Notre périple ne connaît comme seule limite que l’horizon qui borde le lointain. Ici ou là-bas, vivant ou mort, la fièvre des bohémiens que nous sommes ne s’éteint pas. Elle bat dans nos tempes au rythme de nos pas et nous guide dans les méandres de ce monde.
Contrairement aux autres nations, nous ne sommes sous le joug d’aucun dieu, car nous somme les seuls maîtres de notre destin. Ironique donc d’avoir nommé une constellation Deus, n’est-ce pas ? J’imagine que le Minor devait la rendre insignifiante.
- Tu as peut-être raison.
- J’ai toujours raison, petit frère. Et en ce moment, cette même raison me souffle que notre destination promet d’être riche en évènements. La Capitale nous attend de pied ferme ; ce serait abuser de sa patience d’arriver en retard, non ?

« La Capitale », un lieu dont on lui avait souvent fait l’éloge. Située sur les terres de Rosefield, cette ville semblait être la source de tous les chemins. Elle drainait une foule de personnes à travers son infinité de ruelles et accueillait sur ses boulevards un flot incessant de va-et-vient. Marchands, nobles, savants, saltimbanques, artistes et voyageurs venaient des quatre coins du monde pour le seul plaisir d’arpenter ses allées. Bien entendu, la Capitale était aussi le lieu où les festivités ne connaissaient pas de fin. Jamais elle ne paraissait fermer l’œil, de jour comme de nuit. Cité des plaisirs où l’extravagance rimait avec l’insouciance, la Capitale entretenait sa réputation d’une main de fer. Après tout, ne disait-on pas que la divinité qui dirigeait la région de Rosefield ne connaissait pas de demi-mesure ?

- Dans ce cas, pourquoi ne pas nous abandonner au sommeil. Cela nous…
- Ne presse pas les choses, veux-tu ? Le coupa Daxe. Le voyage, c’est aussi la partie la plus importante. Si tu regardes trop loin, tu finiras par ne pas voir les obstacles qui se trouvent sous ton nez, alors profite du paysage tant que tu le peux. 
- Si tu le dis, répondit son cadet d’un soupir.

Sur ces paroles, le silence se refit maître des lieux, entonnant à nouveau son monotone refrain. Bercé par cette mélodie, il ferma ses paupières sur la dernière image qu’il recevrait de cette nuit, un voyageur ancré dans le ciel. Lorsqu’il rouvrit les yeux, le soleil commençait à peindre le ciel de ses rutilantes couleurs et soulevait çà et là des nuages de brume sur une étendue de neige et de glace. « La promesse d’un lendemain », s’entendit-il murmurer. L’aube venait tirer le monde de sa profonde léthargie et éclairait de ses rayons naissants la poitrine de Daxe, qui se soulevait au rythme régulier de sa respiration. Il aurait juré que la nuit durerait plus longtemps…
 

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