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Société

La Suisse, pire élève en Europe?

Retours sur l’étude EU Kids Online, qui a permis de comparer les usages d’internet chez les 9-16 ans


 Gilles Labarthe

Gilles Labarthe

30 mars 2021 à 04:01

Perspectives » Réalisée dans 19 pays, EU Kids Online est une recherche menée périodiquement au niveau européen – Suisse incluse, depuis 2013. Elle permet de mieux évaluer les utilisations d’internet par les enfants et adolescents mais aussi leurs risques d’exposition à de nombreux contenus posant problème. Et en effet, les risques sont légion: images de sexe ou de violence, propos haineux et incitations à la haine, messages discriminants, cyberharcèlement, contacts et propositions de rencontres avec des inconnus, atteinte à la sphère privée, détournement de données, jeux d’argent… Certaines pratiques méconnues des parents mais très courantes se retrouvent dans de nouvelles expressions, comme le grooming (lire ci-dessous).

Qu’en est-il dans notre pays? Les données du rapport 2020 ne sont guère reluisantes pour la jeunesse helvétique des 9-16 ans: comparé à nos voisins européens, elle obtient parmi les plus mauvais scores en termes de compétences numériques. Les explications de Martin Hermida, chercheur à la Haute Ecole de pédagogie de Schwytz PHSZ et responsable du volet suisse de l’étude.

Quelle est votre activité à la PHSZ?

Martin Hermida: Je suis responsable du cours en didactique des médias et informatique. Et j’enseigne et fais des recherches sur la question de la meilleure façon d’enseigner les médias et l’informatique à l’école.

Quels sont les principaux résultats de l’enquête européenne EU Kids Online 2020?

Dix-neuf pays ont participé à cette étude, et les résultats varient fortement selon les pays. De manière générale, on peut dire que l’utilisation d’internet a augmenté de manière significative, comme prévu. Et que le smartphone est le dispositif d’accès le plus important. La plupart des enfants savent comment utiliser les applications et ce qu’il faut faire s’ils sont harcelés en ligne. Mais il reste des différences importantes en ce qui concerne la maîtrise de l’information. Dans ce domaine la Suisse a obtenu des résultats particulièrement faibles.

Sur internet, les risques sont nombreux. Quel est le pays d’Europe qui affiche les meilleurs scores, en matière de prévention et réduction des risques?

Il est difficile de répondre en termes de scores et de classement. Un point important à souligner, c’est que chaque pays a sa propre situation, avec du positif et du plus négatif, notamment au niveau des usages et des types de risques considérés. La Suisse, par exemple, se situe au-dessus de la moyenne européenne en termes d’utilisation excessive de l’internet. Mais le contact avec les «discours de haine» est inférieur à la moyenne européenne. C’est aussi le cas pour l’Allemagne. D’un autre côté, il y a beaucoup plus de bullying (harcèlement et intimidation via internet et les réseaux sociaux, ndlr).

Pour la Suisse, on est surpris de voir le pourcentage élevé d’enfants qui dès 9 ans surfent sur internet avec leur propre smartphone: 30%! Et 86% dès 13 ans…

Oui, en effet, le smartphone est devenu le moyen d’accès le plus important. Son utilisation monte en flèche lors du passage à l’école secondaire, mais nous constatons également que des enfants de plus en plus jeunes possèdent un tel appareil.

Vos études montrent le risque important d’être exposé à des contenus qui peuvent poser problème. Cela concerne 64% pour les enfants de 13 ans et jusqu’à 94% pour les 14-15 ans. 29% d’entre eux n’en avaient jamais parlé… Quelles sont les recommandations envers les enfants?

Supprimez systématiquement les contenus illégaux. Et signalez-les sur des plateformes d’alerte. On retrouve pratiquement tous les risques dans toutes les tranches d’âge, chez les filles comme chez les garçons. L’essentiel à retenir est que les enfants et les adolescents courent plus de risques à mesure qu’ils grandissent. Le contact avec les risques en ligne fait donc partie de leur croissance, dans une société numérique. Bref, on ne peut pas dire qu’en Suisse on fait tout bien, ni qu’on fait tout faux. La tâche de la prévention n’est pas tant d’empêcher le contact que d’enseigner la bonne façon de faire face aux risques.

Et envers les parents? Les enseignants?

De manière générale, s’intéresser à la vie en ligne des enfants. Vous ne devez pas chercher à tout savoir et à tout comprendre avant de parler aux enfants de leur utilisation de l’internet. Les parents et les enseignants doivent surtout rassurer les enfants et les adolescents, autant que possible, sur le fait qu’ils ne seront pas punis s’ils signalent des expériences problématiques en ligne. Sinon, les jeunes qui craignent de ne plus être autorisés à utiliser leur smartphone ou leur ordinateur personnel réfléchiront à deux fois avant d’en parler!

Quelles sont les limites face à l’exposition à des contenus publicitaires inadaptés?

Il existe plusieurs exigences. Pour le monde numérique des enfants et des adolescents, le plus important est que la publicité soit étiquetée et que l’alcool et le tabac ne fassent pas l’objet d’une publicité spécifique pour les mineurs. De plus en plus de publicités les atteignent via les influenceurs sociaux sur Youtube et Instagram.

Et les tendances pour 2021, depuis le début de la pandémie de Covid-19 et les mesures de semi-confinement?

Plusieurs études montrent déjà que l’utilisation a augmenté en période de coronavirus. Comme nous savons que l’exposition aux risques croît avec l’augmentation de l’utilisation, on peut supposer que les contacts des jeunes avec ces risques ont eux aussi augmenté.

La Suisse avait participé pour la première fois à cette étude européenne en 2013. Quelle sera la prochaine édition?

Les études EU Kids Online ont lieu tous les 5 à 7 ans. La prochaine sera sans doute menée en 2023 ou 2024, avec des résultats diffusés en 2025.

Sur quelles études travaillez-vous en ce moment?

Dans la perspective de développer de meilleures pratiques d’internet chez les jeunes, j’étudie actuellement la meilleure façon d’expliquer le sujet de la protection des données personnelles, comme l’année de naissance ou l’adresse par exemple, aux enfants des écoles primaires. Ce n’est pas facile, ils savent que ces données les concernent, mais pas pourquoi il faut parfois les protéger. Il faut trouver le moyen de leur faire comprendre que ces informations ne sont pas «mauvaises» en elles-mêmes, mais qu’elles peuvent être mal utilisées sur internet. Nous leur parlons donc du rôle des secrets. Et dans le cadre d’un deuxième projet, nous demandons aux jeunes de rechercher des informations sur internet et d’évaluer leur crédibilité. Nous étudions comment leur comportement de recherche et de navigation sur internet affecte la pertinence des informations qu’ils obtiennent. Nous venons de recueillir les données et allons maintenant commencer à les analyser. Nous devrions publier les principaux résultats d’ici cet été.

 

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