La Liberté

Ces stations de ski fribourgeoises qui ont dû fermer leurs portes

Un enneigement capricieux, des difficultés financières et un engouement en recul ont conduit à rayer de la carte plusieurs remontées mécaniques dans le canton de Fribourg durant ces dernières décennies

Ces remontées mécaniques ont fait la joie des skieurs durant plusieurs années, avant d’être démantelés. © Imprimerie Saint-Paul
Ces remontées mécaniques ont fait la joie des skieurs durant plusieurs années, avant d’être démantelés. © Imprimerie Saint-Paul

Texte de Thibaud Guisan, photos par Charly Rappo/DR

Publié le 02.02.2023

Temps de lecture estimé : 12 minutes

Loisirs » De ces pistes, il ne reste que des possibilités de randonnées à ski ou en raquettes lorsque la neige est au rendez-vous. Dans le canton de Fribourg, plusieurs remonte-pentes ont été rayés de la carte ces dernières décennies. Retour sur la vie de cinq défuntes petites stations, dont la plupart figurent dans un recensement effectué par Daniel Anker, dans un guide qui vient de paraître.

1 Le funi-luge de la Gruyère (1945-1950)

Cette initiative est peu connue. En janvier 1945, un funi-luge est mis en service au-dessus de Vuadens. Cette installation a été exploitée jusqu’au début des années 1950. Une luge en bois tractée par un câble permettait de transporter jusqu’à 30 skieurs sur un tracé d’un peu plus de 1,2 kilomètre. L’installation reliait le chalet d’alpage de Cierne-Bon d’Enhaut, à 975 mètres d’altitude, aux Portes d’Enhaut, perchées à environ 1200 mètres. L’arrivée se situait près de la cabane des Portes, propriété de la section gruérienne du Club alpin suisse.

La luge, qui mettait une dizaine de minutes pour effectuer une montée, avait deux volants, l’un à l’avant, l’autre à l’arrière, reliés aux patins par un système de direction. Le moteur du funi-luge était situé à l’arrivée. Le premier système de traction fonctionnait au gaz de bois, produit à l’aide d’une chaudière. Il sera remplacé par un moteur diesel, récupéré par le garagiste du village.

«C’était un crève-cœur, mais ce n’était plus viable sur le long terme»
Martial Suchet

Un groupe d’amis, issus du ski-club du village, fondé en 1935, est à l’origine du funi-luge. L’idée avait germé lors d’une sortie à Saanenmöser (BE), où ils avaient emprunté une installation similaire. Le chalet des Portes d’Enbas, qui appartient au Ski-Club Colombettes, se trouve d’ailleurs le long de l’ancien tracé. Le remonte-pente de Vuadens était la propriété de la Coopérative funi-luge des Portes, fondée le 4 janvier 1945. L’activité n’a jamais été très rentable et les frais d’assurance et de concession ont pesé dans la viabilité de l’aventure.

2 L’attraction du Moléson (1963-1992)

Des anciennes remontées mécaniques fribourgeoises, c’est la plus célèbre. Entre 1963 et 1992, une télébenne reliait Moléson-Village au sommet de la Vudalla (1664 m). «C’est une des seules installations de ce type en Suisse. Sa particularité, c’est qu’elle ne s’arrêtait jamais. A l’arrivée, il fallait sauter en marche», se souvient Philippe Micheloud, administrateur de Centre touristique Gruyères-Moléson-Vudalla SA, évoquant ces «tonneaux» rouges à deux places, dans lesquels les passagers se tenaient debout.

Le développement du secteur de la Vudalla s’est fait en même temps que la construction d’une liaison menant à Plan-Francey, puis au sommet du Moléson. «La piste était très appréciée des bons skieurs. Mais pour la station, l’installation n’a jamais été très rentable en hiver. Il n’était pas possible de revenir à ski à la station de départ. Il fallait marcher le long de la route», note Philippe Micheloud. La télébenne rencontrait davantage de succès l’été. En 1969, elle a même été empruntée par le Conseil fédéral in corpore, à l’occasion de sa sortie annuelle.

2 places 

La capacité des «tonneaux» qui menaient à la Vudalla 

Le secteur de la Vudalla, qui abritait un restaurant à son sommet, comprenait également le téléski des Reybes, exploité de 1963 à 2004. La fermeture de la télébenne est intervenue après un incendie qui a détruit le restaurant en février 1990. «L’installation ne répondait plus aux normes. Il aurait fallu mettre 1,5 million de francs sur la table pour la maintenir en service. Nous avons décidé de mettre les moyens que nous avions pour développer le secteur du Gros-Plané et des Joux», indique Philippe Micheloud.

Si le téléski désaffecté des Reybes est toujours en place, la télébenne a été démontée en 2001. La station utilise toujours le bâtiment de l’ancien départ des «tonneaux», situé à côté de la gare du funiculaire, comme atelier de réparation. «La fermeture de la télébenne n’a pas suscité beaucoup de réactions à l’époque. Aujourd’hui, ce serait une installation historique, protégée par-dessus le marché. On ne la démonterait pas et ce serait une attraction», sourit Philippe Micheloud.

3 La face nord de la Combert (1971-2012)

A Treyvaux, une petite station s’est développée au revers de la Combert entre 1971 et 2012. Un couple d’agriculteurs, Yvan Brodard et son épouse Marie-Josèphe, est à l’origine de la mise en place d’un premier arrache-mitaines, aux Planchettes. «Il y avait eu une inauguration officielle, en présence du préfet de la Sarine, Laurent Butty», raconte Marie-Josèphe Yerly, qui revoit sa sœur et sa belle-sœur vêtues d’un dzaquillon, les pieds dans la neige, lors de la cérémonie. Au vu du succès rencontré, il sera décidé de prolonger le tracé grâce à un second remonte-pente, puis d’investir dans un téléski à perches fixes.

La station aval du téléski était située à 815 mètres d’altitude, alors que l’installation, d’une capacité de 400 personnes à l’heure, mesurait 680 mètres de long. «C’était une pente nord. Il n’y avait pas de cailloux. Il suffisait d’un peu de neige pour que ça marche. C’était une jolie descente. Il y a eu un bel engouement. Nous attirions du monde: les gens du village et des environs, mais aussi pas mal de classes d’écoles qui venaient faire des après-midi de ski», se remémore Marie-Josèphe Yerly, qui a tenu durant des années la buvette construite au bas de l’installation.

815 mètres 

L’altitude du départ du téléski de Treyvaux

En 1984, le téléski est racheté par la commune. Le manque de neige, des coûts d’entretien trop élevés, ainsi qu’un projet d’extension agricole ont condamné la petite station. En décembre 2012, le Conseil communal soumet à l’assemblée communale un crédit de 29 000 francs pour démonter la buvette et le téléski. «Le Conseil communal est bien conscient qu’avec la disparition du téléski et de la buvette des Planchettes, c’est un pan de l’histoire locale qui disparaît. Il regrette également qu’un lieu de rencontre sympathique et convivial ne puisse perdurer. Cependant, force est de constater que de moins en moins d’enfants et d’adultes se rendent aux Planchettes pour skier, ils préfèrent les pistes des stations fribourgeoises bien plus «fun» et à leur niveau», note le message des autorités, qui précise que la commune a investi 100 000 francs dans les installations de la Berra.

4 La conquête du Niremont (1974-2003)

A Semsales, un téléski est mis en service en 1974 sur le flanc nord-ouest du Niremont. Un «T», qui partait des hauts du village, à 952 mètres d’altitude, permettait d’effectuer un trajet de près de 1,5 kilomètre, jusqu’aux Prévondes (1370 mètres). «C’était une des plus longues installations du canton», relève Martial Suchet, ancien président du Ski-lift Niremont SA, qui note que le remonte-pente avait été conçu pour être transformé un jour en télésiège.

Le projet ne verra jamais le jour, mais la petite station, qui comprenait également un babylift, sera dotée d’un deuxième téléski, installé en 1987 au Pra-Mory. L’installation avait été rachetée d’occasion à la station d’Ernen, dans le Haut-Valais. «Un comité de soutien avait été créé pour redonner un élan à la société. Le nombre de jours d’ouverture fluctuait beaucoup d’un hiver à l’autre, mais les frais d’entretien demeuraient. Les installations tournaient grâce au bénévolat», note Martial Suchet, ancien responsable technique des installations.

1,5 km

La longueur du téléski principal de Semsales 

Les skieurs venaient principalement de la Veveyse et de la région d’Oron. «Depuis le sommet, la vue sur le Plateau et le lac Léman est magnifique. Mais nous n’attirions pas la clientèle lausannoise des Paccots. Les gens aiment les espaces et ils se lassent assez vite d’enchaîner les mêmes pistes. Pour les enfants et les ados, ce n’est pas dérangeant. Pour les adultes, ce n’est pas très sexy.»

Si les installations n’ont semble-t-il plus fonctionné après 2003, la prise a été définitivement tirée en 2009. «La société a toujours été «ristrette» au niveau financier. En plus, la buvette installée au départ du téléski vieillissait mal. Il aurait fallu l’assainir. Il a fallu se résoudre à liquider la société lors d’une assemblée extraordinaire. C’était un crève-cœur, car nous étions un groupe d’amis qui n’a pas compté ses heures pour ces installations. Mais ce n’était plus viable sur le long terme.» Les remonte-pentes ont été démontés. De l’aventure, il ne reste plus que le bâtiment de l’ancien départ du téléski principal et son arrivée, une roulotte transformée.

5 L’autre station du Lac-Noir (1976-2001)

Au Lac-Noir, des remontées mécaniques ont desservi le Schwyberg entre 1976 et 2001. Un télésiège à deux places partait de Schwarzsee Bad, à 1057 mètres d’altitude, et permettait d’effectuer une dénivellation d’un peu moins de 600 mètres. Deux téléskis complétaient le domaine skiable, exploité par la société Sessel- und Skilift Schwarzseebad-Schwyberg AG. «Le ski s’était développé sur le versant du Kaiseregg depuis 1946. L’idée a germé d’en faire de même du côté du Schwyberg. Le secteur est ensoleillé et offre un très beau point de vue. Les pistes étaient appréciées. Elles attiraient des familles fribourgeoises, mais aussi du canton de Berne», se souvient Otto Lötscher, ancien syndic de Planfayon.

Le télésiège du Schwyberg, au Lac-Noir. DR/Charly Rappo-archives

Un restaurant bâti au sommet des pistes était également prisé. Il sera détruit en 1999 par l’ouragan Lothar. L’aventure s’est terminée en 2002 par une faillite. «Il y a eu quelques bons hivers, mais aussi des saisons avec peu de neige. Il n’était pas possible de développer l’enneigement artificiel. Le télésiège était lent. La situation financière s’est détériorée jusqu’à la faillite. C’était une triste nouvelle, mais il fallait se rendre à l’évidence. Il était plus judicieux de se concentrer sur une seule station de ski au Lac-Noir», commente Otto Lötscher, qui évoque encore l’existence d’une troisième société de remontées mécaniques, qui a exploité entre 1960 et 2003 un téléski du côté de Seeweid.

Après la faillite, une communauté d’intérêt a émis l’idée de relancer l’exploitation d’une installation. «Quelques séances ont eu lieu avec la commune, mais la planification n’est pas allée très loin», note Otto Lötscher, aujourd’hui, vice-président des Remontées mécaniques du Kaiseregg. Après plusieurs rebondissements, l’incendie du restaurant sommital, en 2007, a définitivement mis fin aux velléités d’un redémarrage. En 2009, la commune a fait disparaître ce qui restait des installations et du restaurant. Le bâtiment de l’ancien départ du télésiège, propriété de la commune, reste utilisé comme entrepôt. 

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