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Canton

«Les Suisses sont trop modestes!»

L’EPFL vient de distinguer l’expatrié glânois Nicolas Cudré-Mauroux, qui dirige plus de 2100 chercheurs

«Quand je regarde l’EPFL et ses satellites romands, je pense vraiment à Stanford et à la Silicone Valley», confie Nicolas Cudré-Mauroux.

 Stéphane Sanchez

Stéphane Sanchez

9 octobre 2019 à 04:01

Recherche » Consécration pour le Glânois d’origine Nicolas Cudré-Mauroux. A 57 ans, cet ancien élève du Collège Saint-Michel a parcouru un long chemin, de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) à l’industrie des polymères, chez DuPont de Nemours. Depuis 2015, ce docteur en science des matériaux dirige le département de recherche du groupe de chimie belge Solvay, dont le chiffre d’affaires annuel dépasse les 10 milliards de francs. Sa mission: piloter plus de 2100 chercheurs, avec un budget de 350 millions d’euros.

Sa «carrière exemplaire» et sa «contribution à l’innovation» lui ont valu l’un des Alumni Awards 2019, décernés samedi par l’EPFL. Entretien avec cet expatrié à Bruxelles, qui a conservé des attaches familiales et affectives avec le canton. Et qui suit de près l’innovation fribourgeoise.

Que représente ce prix pour vous?

Nicolas Cudré-Mauroux: J’en suis très fier, car j’ai toujours maintenu le lien avec l’EPFL – c’est crucial pour l’innovation. J’ai fait deux ou trois choses dans ma vie, c’est vrai. J’ai eu de la chance aussi: j’ai grandi dans une famille d’entrepreneurs et d’ingénieurs, à Villaz-Saint-Pierre. En 1982, pendant mes études d’ingénieur en science des matériaux, j’ai découvert par la presse que le bobeur Silvio Giobellina cherchait de l’aide. Notre collaboration a duré dix ans. Et comme il fallait du Kevlar pour alléger le bobsleigh, j’ai rencontré DuPont. J’y ai travaillé pendant 27 ans, aux Etats-Unis, au Canada, au Danemark, à Genève – mon épouse et ma fille ont fait preuve d’une mobilité et d’un soutien sans limite. Aujourd’hui, mon rôle chez Solvay me donne le sentiment de pouvoir faire avancer les choses. C’est un groupe familial qui a des ambitions à la fois financières, environnementales et sociétales. Mais j’avoue que cet Award est une surprise, quand je vois que Bertrand Cardis, constructeur d’Alinghi, et André Borschberg, pilote de Solar Impulse, l’ont eu avant moi.

Que fait Solvay?

Le groupe développe des matériaux pour toute l’industrie aéronautique et automobile. Il produit des polymères recyclables de haute performance capables de remplacer les métaux, à meilleur coût et avec un impact environnemental moindre. Ces composites permettent d’alléger tout ce qui bouge, des vélos aux avions, en passant par les voitures électriques. Solvay travaille aussi sur des matériaux qui feront les batteries de demain. Le groupe est en outre spécialisé dans l’utilisation efficace et écoresponsable des ressources naturelles, notamment dans l’extraction des minerais.

A vous entendre, chimie rime avec environnement…

La science et l’innovation sont clairement une partie de la solution au problème du climat. La Suisse, qui a une longue tradition environnementale, a d’ailleurs de réelles opportunités à saisir dans ce domaine. Mais il faudra plus que des inventions géniales. Les comportements, les mentalités devront aussi changer. Et la science pourra guider ces changements.

Quels sont vos liens avec l’EPFL?

Solvay travaille notamment sur la modélisation moléculaire. C’est l’une des grandes évolutions de la science des matériaux et de la chimie ces dernières décennies. Auparavant, on développait uniquement des hypothèses en laboratoire. Aujourd’hui, on conçoit et on simule d’abord le comportement des molécules sur ordinateur. L’EPFL, avec son président Martin Vetterli – il vient de ce domaine –, se lance à fond là-dedans. A raison!

Vous êtes visiblement fan!

Les Suisses sont trop modestes! Quand je regarde l’EPFL et ses satellites romands, je pense vraiment à Stanford et à la Silicone Valley. Et cela ne s’arrête pas à l’EPFL: la Suisse offre des formations extraordinaires, y compris dans les HES ou en matière d’apprentissage. C’est un système complémentaire qui est très intéressant, si l’on considère l’évolution de la recherche industrielle. C’est aujourd’hui une combinaison: il faut des spécialistes, bien sûr, mais les projets comportent toujours une compréhension des aspects économiques et du cycle de vie des matériaux. Ces projets, parce qu’ils sont complexes, amènent beaucoup de valeur.

Quelle est votre perception de l’innovation fribourgeoise?

Solvay s’est intéressé à plusieurs start-up suisses. Aucune n’a encore bénéficié de notre soutien, faute de «coller» à la stratégie du groupe. Mais nous restons très attentifs à l’écosystème romand, et j’ai l’impression que Bluefactory et Fribourg se profilent sur des thèmes prometteurs, comme la biotechnologie, la nanotechnologie ou le Smart living lab.

Le canton peut tirer profit de ce qui se passe dans l’Arc lémanique. Il y a certes des conditions-cadres à améliorer, notamment sur la fiscalité des start-up. Et l’échec n’est pas encore assez considéré comme une forme d’expérience. Malgré cela, les étudiants suisses ou fribourgeois qui se lancent dans une start-up n’ont pas moins de chance d’aboutir que leurs homologues américains. Encore une fois, il faut cesser d’être trop modestes!

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