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Quand tu gagnais une pièce d’or par ruban

Quand tu gagnais une pièce d’or par ruban
Quand tu gagnais une pièce d’or par ruban
Publié le 02.05.2020

Temps de lecture estimé : 2 minutes

Lettre à nos aînés

Chère grand-maman, en août prochain, nous fêterons tes 100 ans.

Tu es née à cette époque où de nombreuses jeunes filles n’accédaient pas aux études secondaires. Ce fut ton cas. Très tôt, tu as quitté l’école pour aider au ménage, avant de devenir couturière. A Broc Fabrique, tu nouais pour l’usine Cailler les rubans satinés qui coiffaient les œufs de Pâques. Pour chaque ruban, me disais-tu, tu gagnais une pièce d’or.

L’idée de ce trésor enchantait l’enfant que j’étais. Ce n’est que bien plus tard que j’ai compris, déçue, qu’il s’agissait en réalité d’une pièce de 5 centimes – dit moins poétiquement.

Je conserve de toi tant de souvenirs d’enfance: des odeurs, des gestes, des sons. Un paysage de moments partagés.

Les effluves sucrés de la confiture de framboises qui mijotait pendant des heures dans l’immense casserole en fer-blanc. Le parfum du tilleul mis à sécher sur de grandes feuilles de carton. Le staccato de la machine à coudre sur l’ourlet d’un pantalon. Le miel dans la camomille, le Banago qui chauffait sur le poêle et cette fragrance d’Elnett que tu vaporisais quotidiennement sur une mise en plis impeccable dans la belle salle de bains au carrelage noir et blanc.

Avec grand-papa, vous nous emmeniez en balade. Le long de la Sarine ou sur d’étroits sentiers où nous cueillions ail des ours, chanterelles d’automne ou dents-de-lion. Nous passions au jardin des heures extraordinaires à gober les framboises chauffées par le soleil ou à fouiller le compost à la recherche, pour grand-papa, d’énormes vers de terre qui appâteraient le poisson. Tu riais de nos cris dégoûtés en soulageant d’une main habile dahlias et rosiers de leurs fleurs fanées.

Et puis tu nous racontais des histoires. Sur le canapé vert vite transformé en lit, nous écoutions, suspendus à tes lèvres, des récits d’ogres, de maison en biscôme, de petits cailloux blancs. Une existence frugale au rythme des saisons et ce cadeau inestimable, apanage des grands-parents: offrir à leurs petits-enfants de l’écoute et du temps.

Chère grand-maman, l’ardoise de tes souvenirs s’est effacée il y a déjà quinze ans. Et en ces temps étranges de vie intérieure, je pense à toi, derrière les vitres du home, de l’autre côté du printemps.

Et j’aimerais vous dire, à toi et à tous les autres grands-parents, à quel point votre empreinte demeure, au-delà de l’oubli, dans le cœur de chacun de vos petits-enfants. Prenez grand soin de vous. Restez à la maison.

Annick Appetito Lectrice, Bulle

Rubrique lancée par La Liberté, Arcinfo, Le Quotidien Jurassien, Le Journal du Jura et Le Nouvelliste. Pour vos lettres, redaction@laliberte.ch

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