Evasion: cap vers Capraia, cette île méconnue entre la Corse et l’Italie
Toutes voiles dehors en direction de ce losange de huit kilomètres de long pour deux de large
Texte et photos: Stéphane Maffli
Temps de lecture estimé : 5 minutes
Embruns » Le rendez-vous est donné fin juin à Livourne, en Toscane, pour embarquer à bord de la Garota, un monocoque de 13 mètres de long. Destination: l’île de Capraia, en mer Tyrrhénienne, entre la Corse et l’Italie. Vers midi, le skippeur Matteo Della Rosa largue les amarres. Le sirocco, un vent sec du sud, souffle à 15 nœuds. A la sortie du port, nous hissons les voiles.
C’est par le portail Sailsquare que nous avons rejoint l’équipage pour une croisière en mer sur un voilier. Quelques jours avant le départ, un groupe WhatsApp avait été créé pour organiser les courses et régler tous les détails. Nous sommes un petit groupe de huit. Deux couples, une Romaine, une Livournaise, l’auteur de ces lignes et le skippeur participent à l’expédition. Tour à tour, celles et ceux qui le souhaitent peuvent relayer Matteo à la barre.
Garder le cap
Naviguer à la voile requiert une concentration constante, car le vent et la houle font sans cesse dévier le navire. Le sirocco continue à se renforcer. Au loin se dessine déjà la frêle silhouette de Capraia. La mer moutonne et le voilier tangue. Impossible à présent de rester à l’avant du bateau pour faire bronzette sans être aspergé.

La traversée dure plus de six heures. Matteo, notre skippeur, raconte son parcours et nous parle avec enthousiasme de la petite île qui se rapproche. Ses tatouages aux contours déjà délavés témoignent de son attachement à la mer. Le portrait d’un Corto Maltese pensif y côtoie Poséidon en furie. Sur l’épaule, le tatouage de l’île de Capraia se présente comme une carte au trésor. Quand le marin relève ses lunettes de soleil, on voit sur ses tempes une fine marque de bronzage.
Plongeur professionnel en hiver, skippeur l’été, Matteo est né à Capraia. Sa famille y est établie depuis plusieurs siècles. Une centaine de personnes habitent à l’année sur ce rocher: quelques pêcheurs, des employés de la commune et du port, quelques restaurateurs. En été, des bateaux viennent mouiller l’ancre dans la baie ou s’amarrent au port, et l’île s’anime. Une fois par jour, un ferry fait la liaison avec Livourne. Il n’y a pas d’hôtel à Capraia, tout au plus quelques appartements de vacances. A mesure que nous approchons, le vent et la houle se font plus violents. Matteo reprend les commandes. Arrivés vers l’île, nous mouillons l’ancre à l’abri dans une crique pour y passer la nuit. L’équipe prépare un délicieux couscous au thon.
Une nuit agitée
Les voyageurs forment entre-temps presque un groupe d’amis qui refait le monde jusqu’à tard le soir. Nous remarquons à peine que le vent continue de se renforcer alors qu’il fait à présent nuit. Les vagues ont gagné en intensité et le voilier, poussé par le vent et la houle, tire sur sa chaîne. Il est minuit. Le bateau tangue violemment. Nous rejoignons tant bien que mal nos cabines. Matteo enfile un gros pull à capuche et reste dehors. Durant la nuit, le vent siffle et hurle de plus en plus fort dans les cordages. Au petit matin, nous nous mettons à l’abri au port de Capraia. Matteo n’aura pas dormi de la nuit.
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Les deux jours suivants, le bateau reste au port. Le vent est trop fort et la mer trop houleuse pour passer une nuit au cap Corse ou à l’île d’Elbe comme initialement prévu. Nous explorons à pied ce losange de huit kilomètres de long pour deux de large. Capraia tient son nom de la chèvre, la capra. Elles sont nombreuses en effet dans le maquis, sans enclos. De leur lait, on produit un délicieux fromage.

Profitant le lendemain d’une accalmie, nous embarquons à la découverte des rives escarpées. La petite île volcanique a une longue histoire. Habitée probablement depuis 2500 avant J.-C. et faisant partie de l’Empire romain, Capraia passe au Moyen Age sous le contrôle de la République de Pise, puis des Génois, qui bâtissent sur l’île plusieurs tours de garde. Au XVe siècle, elles font partie d’un vaste réseau de défense maritime. Les ruines de ces tours dominent les falaises ocre et noir qui plongent dans la mer azur.
A part le village placé en hauteur et le port, Capraia est sauvage. D’innombrables cavités permettent aux oiseaux marins de nicher. On les observe à la jumelle. Les goélands s’approchent et réclament du pain. Matteo jette l’ancre. Un délicieux risotto est cuisiné par l’équipe. Nous enfilons nos palmes et ajustons nos lunettes de plongée pour découvrir les eaux poissonneuses et les fonds sous-marins. Les heures passent sans qu’on s’en rende compte. S’il y avait un paradis sur terre, il ressemblerait peut-être à cela.

Au dernier jour, le vent s’est calmé. On profite de la traversée pour faire la sieste. Arrivés à Livourne, on se quitte chaleureusement. Chacun va de son côté et rentre chez soi. Sur le groupe WhatsApp, on continue à échanger des images et à discuter. Le lendemain, Matteo reprend la mer avec à bord de la Garota un nouvel équipage.