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Suisse

La commission d'enquête sur la débâcle de Credit Suisse est-elle déjà sous influence?

C’est confirmé: une commission d’enquête parlementaire va se pencher sur le rachat en urgence de Credit Suisse par UBS. Avant même que les Chambres fédérales votent l’institution de plus puissant instrument de surveillance du Parlement, les lobbies de l’économie avaient déjà donné leurs instructions.


Guillaume Chillier

Guillaume Chillier

9 juin 2023 à 04:01

Régulation bancaire » La commission d’enquête n’était même pas encore votée que l’économie semblait déjà tentée de l’influencer. Dans un courriel consulté par La Liberté et envoyé aux élus fédéraux mardi, la faîtière economiesuisse explique aux parlementaires comment ils doivent appréhender les travaux de la commission et, surtout, ce qu’ils ne doivent pas faire. Les élus sont certes habitués aux impulsions venant de l’extérieur du Palais, «mais là, ça ne va pas», peste un parlementaire. Depuis mardi, il affirme n’avoir «entendu que des commentaires négatifs sur cette lettre».

Dans ce document signé par le président d’economiesuisse Christoph Mäder et la directrice Monika Rühl, la grande faîtière affirme que «l’économie mondiale est un colosse aux pieds d’argile et que la Suisse doit éviter de prendre des décisions hâtives qui affaibliraient sa place financière». Ils estiment que «les diverses demandes, parfois radicales, (…) pourraient avoir des conséquences très nettement négatives sur l’économie suisse».

La missive est accompagnée d’une liste de questions «qui, du point de vue de l’économie, sont essentielles pour retracer le fil des événements et les causes de la fusion d’urgence». Tout indique qu’economiesuisse craint que les résultats de la commission d’enquête ne mènent à la réduction de la flexibilité du financement de l’économie et à la fuite de capitaux. «Elle ne veut tout simplement pas de régulation», entend-on sous la Coupole.

Condescendance?

Dès la réception de cette lettre, plusieurs élus fédéraux se sont montrés étonnés, voire irrités d’être approchés de la sorte avant même que les deux Chambres n’aient voté l’institution de la commission et alors que sa composition complète est encore inconnue. Tour à tour, ils dénoncent un timing douteux, une tentative d’influence discutable ou une condescendance naïve.

«Economiesuisse se mêle un peu de tout et essaye régulièrement d’influencer les élus. Mais c’est valable pour tous les lobbies. Libre à nous de prendre ou non ce qu’ils nous donnent», tempère Pierre-André Page. Pour le coup, l’élu UDC estime toutefois que la faîtière a dégainé «beaucoup trop tôt». «Elle aurait pu laisser la commission se mettre en place. Ses membres pourront de leur propre chef auditionner les milieux économiques sans que la faîtière n’inonde de mails le parlement», signale-t-il.

Membre du bureau à la manœuvre pour l’institution de la CEP, Lisa Mazzone sourit à la lecture de la lettre. «Visiblement, economiesuisse tente déjà de freiner les nécessaires réformes pour que ce genre de sauvetage sur le dos des contribuables ne se produise plus», réagit la conseillère aux Etats. Pour l’écologiste genevoise, «il est naïf de penser qu’un lobby ou toute autre entité prendra influence sur les travaux de la CEP. La surveillance parlementaire est pleinement indépendante et bénéficie d’une expérience éprouvée.»

Elle lit la liste des questions que la faîtière chuchote à l’oreille des élus. «Elles sont la base de toute enquête sur les événements qui se sont déroulés et nous n’avions pas besoin d’economiesuisse pour les formuler.» Et de dénoncer: «Le champ de l’enquête va évidemment bien au-delà de ces questions sommaires qui ne visent qu’à montrer que tout s’est déroulé au mieux».

Son collègue au Conseil des Etats et membre annoncé de la CEP, le PLR Philippe Bauer, rigole. La communication d’economiesuisse ne lui fait ni chaud, ni froid. «J’ai les épaules solides. Et il y aura encore bien d’autres sollicitations de la sorte ces prochains temps», prédit le Neuchâtelois.

Profil bas au PS

Au Parti socialiste, les cadors ne préfèrent pas s’exprimer. Vrai que le parti a déjà fait des vagues depuis que le conseiller national Roger Nordmann a annoncé sa présence à la CEP, en plus d’en revendiquer la présidence et de quitter son poste de chef de groupe aux Chambres. Or mi-mai, le coprésident du parti, Cédric Wermuth, avait déclaré sur Twitter que «celui qui se préoccupe en premier lieu de se positionner lui-même en tant que président (…) passe à côté du sérieux de l’affaire et nuit à la crédibilité de cette enquête». Une contradiction que plusieurs élus de droite ont relevée; et même au sein du parti, la «stratégie» socialiste ne fait pas l’unanimité.

Bref, ils font profil bas. Anonymement toutefois, un conseiller national déclare qu’il voit dans la communication d’economiesuisse «une claire tentative d’orienter les travaux de la commission». «Au moins, la faîtière ne s’oppose pas ouvertement à la CEP, ce qui est plutôt positif», relève-t-il.

La gauche, ce lobby

Lui aussi membre du bureau, Benjamin Roduit trouve plutôt intéressant de rappeler que l’enjeu de la commission d’enquête, c’est aussi de maintenir la place financière suisse et son statut au sein de la finance internationale, comme l’exhorte economiesuisse. Selon le Centriste, «nous ne pourrons pas prendre une année pour uniquement analyser les tâches des offices et des institutions fédérales. Il faut penser aux banques centrales ou aux autres banques systémiques.»

Le Valaisan en profite pour piquer ses opposants politiques: «La gauche aussi fait son lobbying. Dans la presse, au parlement: elle a été très agressive en désignant des coupables de la crise avant même que ne commencent les enquêtes.»

Contactée, economiesuisse balaie les critiques et réitère, «à l’instar du Conseil fédéral», qu’il est nécessaire de procéder à un examen approfondi de la chute de Credit Suisse. «Nous avons donc communiqué aux Chambres fédérales notre plein soutien quant à l’institution d’une CEP», défend Monika Rühl. Que dit-elle sur sa volonté présumée d’orienter les travaux d’enquête de la commission? «Ce n’est nullement notre intention. Il appartiendra à la commission d’enquête et à elle seule de définir le périmètre de son travail.»

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