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Suisse

«La science doit être mieux traitée»

Olivier Dessibourg évoque les défis du journalisme scientifique avant le congrès mondial à Lausanne

www.sb-photographe.netbahri Samir/Bahri Samir

 Thierry JAcolet

Thierry JAcolet

28 juin 2019 à 00:26

Science » Selon une étude publiée en 2015 dans la revue Science, près de deux tiers des études scientifiques en psychologie ne sont pas reproductibles. Un résultat qui résume le casse-tête quotidien des journalistes face aux publications en sciences. Eux qui doivent filtrer la profusion de résultats produits par les scientifiques, les vérifier pour livrer des informations référentielles au grand public.

La Conférence mondiale des journalistes scientifiques va sensibiliser aux défis du métier les 1200 représentants des médias de 83 pays qui seront réunis dès lundi à Lausanne. «Nous souhaitons montrer qu’il y a une nécessité de qualité dans le traitement des informations scientifiques», plaide Olivier Dessibourg, le président de l’Association suisse du journalisme scientifique (ASJS), cofondateur du site d’information Heidi. news et cheville ouvrière de l’événement. «Il faut remettre la science au milieu du village.»

La science est-elle mal traitée par les médias?

Olivier Dessibourg: La science mérite un traitement aussi indépendant, objectif et sainement critique que l’économie ou la politique. Il est difficile de vérifier les études, et leur complexité intimide, si bien que les nouvelles issues de ce domaine sont parfois prises comme parole d’évangile. Et comme il s’agit de la science, on a la fausse impression que les résultats sont avérés. Il est trop simple de reproduire des communiqués de presse en «copier-coller» dans un média sous prétexte que vérifier leur contenu scientifique prend du temps ou parce que l’étude citée a été publiée dans une revue scientifique. Il existe en effet 25 000 revues scientifiques dans le monde, et certaines publient n’importe quoi.

Même des publications dans des revues de références comme Science ou Nature?

Les résultats publiés dans les revues même prestigieuses doivent être abordés avec précautions: celles-ci tentent parfois de mettre en avant, sous embargo auprès des journalistes, les sujets plus parlants, qui auront un impact pour le public, davantage que les avancées incrémentales et complexes mais pourtant déterminantes, plus compliquées à faire passer auprès du grand public.

Des résultats mieux vendus par des revues ou qui se contredisent, des études commandées par certaines industries, répondant à des intérêts économiques ou idéologiques… Comment éviter tous ces pièges?

Le journaliste doit utiliser des clés de lecture propres au journalisme scientifique et ne pas se contenter de relayer l’information. Il doit aussi expliquer la «fabrique de la science», c’est-à-dire les rouages de la production du savoir scientifique: évaluer la qualité de la revue qui le publie, annoncer les conflits d’intérêts, tenter de vérifier si les chiffres et statistiques utilisés le sont de manière opportune. Un média doit étayer son choix de reprendre une étude selon des critères journalistiques et non pour la beauté de la science uniquement.

« Il existe 25’000 revues scientifiques dans le monde, et certaines publient n’importe quoi »

Olivier Dessibourg

Pourquoi la science fait-elle l’objet d’une telle guerre de l’information?

Dans la science comme dans d’autres domaines, il y a des jeux de pouvoir et d’influence. Des informations sont parfois exagérées, fausses, embellies ou mises en avant plus que d’autres. Les annonces de résultats, de grands projets ou de décisions répondent presque toujours à des agendas académiques, politiques, économiques. Il n’y a qu’à suivre les débats scientifico-économiques au sujet de l’interdiction du glyphosate en Europe pour s’en convaincre. Parfois, c’est simplement un chercheur qui cherche la notoriété et qui n’hésite pas à frauder pour y accéder. C’est au journaliste de montrer aussi ces possibles travers.

Surtout en ces temps de fake news et de désinformation…

Oui, la confiance accordée au monde scientifique – pourtant encore élevée – tend à s’éroder. En expliquant les coulisses de la science, les journalistes permettent au grand public de retisser un lien avec ce monde souvent abscons pour lui. En Suisse par exemple, le public doit de plus en plus se prononcer sur la technologie et l’innovation. Il est crucial qu’il puisse en comprendre les tenants et aboutissants.

La vulgarisation est un réel défi…

J’ai toujours en tête cette citation de Paul Valéry: «Tout ce qui est simple est faux. Mais tout ce qui ne l’est pas est inutilisable.» Si un journaliste simplifie trop le discours d’un scientifique, ce dernier peut le considérer comme inexact, car ne reflétant pas exactement ce qu’il fait, au risque de le mécontenter. Mais si le journaliste ne fait pas l’effort de simplification, le public ne comprend rien, et son article n’a aucune utilité. Il y a donc une sorte de «contrat de vulgarisation» à passer entre le journaliste et le scientifique. C’est pourquoi il s’agit aussi de promouvoir la formation des scientifiques à la communication.

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