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Le Ministère public se mobilise

Le procureur Stefan Blättler va récolter des témoignages de crimes de guerre auprès des réfugiés ukrainiens

Nouveau procureur général de la Confédération, Stefan Blâttler (au centre) semble déterminé à empoigner le dossier des crimes commis en Ukraine. © Keystone-archives
Nouveau procureur général de la Confédération, Stefan Blâttler (au centre) semble déterminé à empoigner le dossier des crimes commis en Ukraine. © Keystone-archives

Julia Crawford, Swissinfo

Publié le 07.06.2022

Temps de lecture estimé : 5 minutes

Ukraine » «L’idée est très simple», a déclaré le procureur général Stefan Blättler à l’occasion d’une interview accordée à swissinfo.ch. «Nous ne pouvons pas poursuivre les crimes de guerre tant que le suspect ne se trouve pas en Suisse. Mais d’un autre côté, nous avons beaucoup de réfugiées et réfugiés (d’Ukraine, ndlr), tout comme d’autres pays européens, et je suis sûr que ces gens pourraient avoir vu quelque chose ou fournir des témoignages en vue d’éventuels procès pour crimes de guerre. C’est pourquoi nous devons nous assurer que toutes ces preuves potentielles sont à notre disposition.»

A l’heure actuelle, la Suisse n’a pas de suspects sur son territoire, précise Stefan Blättler. Il n’empêche que cela pourrait arriver, ou que des procès pourraient avoir lieu un jour ou l’autre. Si elle parvient à collecter des preuves, la Suisse pourrait partager ses informations avec d’autres pays, s’ils ouvrent un procès pour crimes de guerre en Ukraine, ou avec la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye.

Le procureur de la CPI, Karim Khan, a ouvert une enquête sur l’Ukraine à la suite de l’invasion russe, après avoir reçu les renvois de 41 pays à ce jour, dont la Suisse. Le procureur général de l’Ukraine rassemble des preuves de crimes de guerre depuis le début de l’offensive et, comme la Suisse, de nombreux autres procureurs nationaux ont mis en place des unités spéciales de collecte de preuves. Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, à Genève, a également mandaté une commission d’enquête indépendante.

Stefan Blättler a succédé le 1er janvier au procureur général Michael Lauber, qui a finalement été contraint de démissionner en raison d’allégations de fautes dans le cadre d’enquêtes sur la corruption à la FIFA, l’instance dirigeante du football mondial basée à Zurich. Sous Michael Lauber, le bureau du procureur général était critiqué pour sa lenteur dans les affaires de crimes de guerre internationaux, mais Stefan Blättler affirme vouloir en faire une de ses priorités.

«En tant que nation où l’idée de la Croix-Rouge a vu le jour, nous avons une obligation morale particulière de faire quelque chose», souligne-t-il. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), dont le siège est à Genève, est le gardien des Conventions de Genève, qui visent, entre autres, à protéger les civils en temps de guerre.

Conserver les preuves

Comment va donc fonctionner la task force suisse sur l’Ukraine? «J’ai chargé mon département responsable des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité d’examiner comment nous pouvons obtenir ces témoignages potentiels. Et nous recherchons ces informations par le biais du travail de la police et du Secrétariat d’Etat aux migrations», a déclaré Stefan Blättler.

La police rassemblera et conservera les témoignages potentiels des personnes réfugiées. Le Ministère public de la Confédération ne peut pas le faire lui-même, sauf si une plainte est déposée contre un suspect sur le territoire suisse, explique-t-il. En revanche, il pourra avoir accès aux informations de la police.

Stefan Blättler pense qu’il faudra un peu de temps pour que les témoins se manifestent. «Beaucoup de gens sont traumatisés et ont d’autres préoccupations en ce moment que de fournir des témoignages, poursuit-il. Je suis convaincu que cela prendra un peu de temps, mais ils viendront, la police leur parlera, et nous aurons alors quelque chose qui pourra être divulgué en cas de procès.» A noter que de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) travaillent également sur ce sujet, y compris en Suisse: Human Rights Watch, ou encore l’ONG suisse TRIAL International, toutes deux basées à Genève.

La coopération avec les partenaires internationaux fait également partie du travail de la task force suisse sur l’Ukraine, indique Stefan Blättler. «Je pense à la Cour pénale internationale de La Haye, aux organisations internationales telles qu’Eurojust et Europol, ainsi qu’à d’autres Etats», précise-t-il. «Et nous devons échanger toutes les informations disponibles grâce auxquelles une procédure pourrait être lancée.» Eurojust et Europol sont deux organisations de l’Union européenne, basées à La Haye, qui encouragent la coopération transfrontalière en matière de criminalité. La Suisse est un membre associé des deux organisations. Alors qu’Europol se concentre sur la coopération policière, Eurojust réunit les procureurs nationaux concernant les crimes relevant de leur mandat, notamment les crimes internationaux de génocide, les cr imes contre l’humanité et les crimes de guerre. Eurojust a récemment mis en place une équipe d’enquête conjointe sur l’Ukraine comprenant l’Ukraine, la Pologne, la Lituanie et la CPI.

La Suisse ne fait pas partie de l’équipe d’enquête conjointe sur l’Ukraine (JIT) mais participe aux réunions d’Eurojust, notamment sur l’Ukraine. «Nous y avons également des délégués, précise Stefan Blättler. C’est comme une bourse quotidienne d’informations pour les affaires judiciaires. Vous rencontrez les personnes de chaque Etat participant et vous obtenez vos informations au jour le jour. C’est pourquoi Eurojust est pour nous une organisation très importante.»

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