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Suisse

Mafia. Opération Eurêka et ramifications suisses

Les coups de filet anti-Ndrangheta se sont multipliés mais la pieuvre peut compter sur la relève


Madeleine Rossi

Madeleine Rossi

29 mai 2023 à 13:28

Ndrangheta » Des biens et des sociétés saisies, 132 arrestations dans 10 pays, l’opération «Eurêka» est une jolie réussite pour les autorités judiciaires européennes et les quelque 3000 agents – dont la moitié en Italie – mobilisés sur le terrain le jour J. Mais à la suite de cette opération déclenchée le 3 mai, la centaine d’hommes momentanément hors service et 25 millions d’euros de perte nette ne sont qu’un dommage collatéral pour une organisation qui tire sa force des sommes colossales sur lesquelles elle est assise et de son potentiel en ressources humaines. Malgré 61 arrestations supplémentaires opérées en Italie le 11 mai, la ‘ndrangheta tient bon. D’autres membres de l’organisation, affiliés ou parents, sont déjà prêts à reprendre le business ou assurer la logistique sans se faire remarquer. Ces actions antimafia n’ont donné lieu à aucune arrestation en Suisse. Et pourtant les enquêteurs italiens viennent de repérer une tentative récente d’achat d’armes à feu auprès de fournisseurs suisses de pistolets semi-automatiques à destination de la Calabre. Au-delà d’un éventuel rebondissement de l’opération «Eurêka» en Suisse ou d’une future descente de police dans un ou plusieurs cantons, la question qui s’impose est celle du fonctionnement de ce biotope particulier. Car le seul moyen, disait Giovanni Falcone, de rendre la mafia toujours plus visible et compréhensible, est de la regarder de l’intérieur, pour la réduire à une organisation criminelle «normale» et non plus «extraordinaire», au sens littéral du terme.

Lex mafiosa

132

arrestations au cours de l’opération «Eurêka»

Le monde mafieux ne laisse aucune place à la notion d’individu et ne tolère aucun corps étranger. On en fait partie à l’unique condition de pouvoir justifier des liens de sang et personne – ou presque – ne s’échappe de l’organisation de son vivant : même les collaborateurs de justice, bien qu’extraits du système, restent des mafieux. Un chercheur palermitain, le Pr Girolamo Lo Verso, a formulé ce qui échappe à la perception «nordiste» de la mafia: «[une] violente colonisation des esprits, une fabrication d’épouses silencieuses et obéissantes – elles savent tout mais ne posent aucune question – et d’enfants appelés à devenir des copies conformes de leurs pères et futurs tueurs en série.» Tout est fait pour fabriquer des «réplicants» et les convaincre dès la naissance de la normalité du modèle mafieux et des «valeurs» extrêmes qu’il véhicule. Résultat de ce conditionnement, vécu par un carabinier d’une unité d’intervention: un enfant de 3 ans, fils d’un chef mafieux, qui lui crache au visage et lui lance «J’te dirai rien, sale flic de merde». Ou une femme, sœur, épouse, mère et tante de mafieux, qui assène à l’un de ses fils, devenu collaborateur de justice, lors d’un entretien au parloir: «Fidélité… fidélité… fidélité…», envers l’organisation, bien entendu. Et de le menacer subtilement pour le contraindre à retirer certaines déclarations faites aux juges: «Celui qui se tait… ne commet pas d’erreur». C’est ainsi, à de rarissimes exceptions près, que prend forme l’idée d’une supériorité sociale – voire morale – transmise d’une génération à l’autre, par filiation ou alliances entre clans. Le principe permet aux fils de perpétuer l’œuvre des pères sur la durée, bien supérieure à celle de la conservation des données de police pour les crimes et délits, actuellement limitée à 20 ans.

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