La Liberté

Yello: goodbye, désuets pionniers

Mercredi soir au Montreux Jazz Festival, le karaoké sénescent du duo zurichois n’avait rien de séduisant. Les vieux beaux ne sortaient jamais de leur tanière, et on a cette fois compris pourquoi.

 

Le karaoké de Yello n'avait rien de séduisant mercredi soir au Montreux Jazz Festival. © Daniel Balmat
Le karaoké de Yello n'avait rien de séduisant mercredi soir au Montreux Jazz Festival. © Daniel Balmat


Thierry Raboud

Publié le 13.07.2017

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Mathieu Jaton est venu en personne introduire ce concert au Lab, lui qui d’ordinaire n'y met jamais les pieds. C’est dire si le Montreux Jazz Festival était fier d’accueillir Yello pour la première fois de son histoire.

Rappelons que le duo gominé et moustachu, mythe fondateur de l’électro-pop à papa, est toujours resté terré dans son studio zurichois. Ce concert faisait ainsi figure d’exception. Mais on a vite compris pourquoi ces légendes ne sortaient jamais: afin de rester légendaires. Ou comment conserver cette aura mythique que la scène, impitoyable mise à nu, a dissipé comme un écran de fumée mercredi soir.

Pourtant, Boris Blank et Dieter Meier avaient fait les choses comme il faut pour ne pas être d’emblée réduits à de vintage pousse-boutons. Une douzaine de musiciens pour se superposer tant bien que mal à leurs tubes préenregistrés: on y croyait presque. Mais dès les premiers martèlements passéistes de Do it, l’embarras. Ces vieux beaux, foulard de soie et pull Lacoste, ont semblé perdus dans un siècle qui n’est plus le leur.

Ne nous vautrons pas ici dans le jeunisme, et rendons même hommage à ces inventeurs nonchalants, eux dont la créativité joyeuse a amusé la pop et fait progresser l’électro à une époque où les beats étaient fait de ciseaux, de scotch, de bidouillage et de débrouillardise. Mais les pionniers d’hier sont rarement les avant-gardistes d’aujourd’hui. Deux heures de concert ne pouvaient s’alimenter que de nostalgie, aussi touchante fût-elle.

Tout le monde était pourtant venu s’en abreuver: baby-boomers en chemises à fleurs, calvitieux heureux de retrouver la pulsation de leurs 20 ans, laquelle, au temps jadis, devait effectivement avoir quelque chose de rafraichissant.

Mais voilà, un type derrière son Mac qui lance des morceaux que son compère vient rehausser de son proto-rap monocorde, les yeux cachés derrière des Ray-Bans mais rivés sur ses prompteurs: ça n’amuse plus grand monde. Les clips de chaque titre, déroulés en boucle sur un écran, ont eu beau rappeler toute l’inventivité visuelle qui faisait la singularité de Yello, ce karaoké sénescent n’avait plus rien de séduisant.

Entre quelques titres tirés de l’album Toy (2016), le groupe a heureusement fait entendre ce que tout le monde attendait. Oh yeah, ce tube à vide qui est à Yello ce que Happy est à Pharrell Williamms, mais aussi Bostich ou The evening’s young. De quoi électriser un peu la foule fatiguée, enfin réveillée avec le jungle funky de Tied up ou le faux punk de Si Señor the Hairy Grill. Où l’on a compris à quoi servaient tous ces musiciens: un virtuose chevelu avec quatre guitares pour à peu près autant d’accords à jouer, des cuivres pour la couleur, deux percussionnistes pour, à la Safri Duo, marteler ce qui l’est déjà, enfin deux bimbos ondoyantes pour finir d’agrémenter la scène.

Puis surtout ces deux élégants compassés, ridiculement soucieux de faire accroire à l’immense complexité de leur travail. «C’est une chanson compliquée à chanter, car il y a des rythmes différents, et ce n’est pas facile d’être dedans», a osé Dieter Meyer. Oui, c’est un métier. Après quelques bis boiteux, les pionniers désuets sont repartis en lançant un audacieux « à l’année prochaine ». A Yello, nous avons dit goodbye.

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