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Depuis 75 ans à St-Léonard, le plus grand lac souterrain d'Europe

Le lac souterrain de St-Léonard qui célèbre cette année 75 ans d'exploitation a rouvert ses portes samedi après sa traditionnelle pause hivernale. © KEYSTONE/LAURENT GILLIERON
Le lac souterrain de St-Léonard qui célèbre cette année 75 ans d'exploitation a rouvert ses portes samedi après sa traditionnelle pause hivernale. © KEYSTONE/LAURENT GILLIERON


Publié le 16.03.2024


A St-Léonard, à une septantaine de mètres sous le vignoble planté à flanc de colline, se cache le plus grand lac souterrain naturel d'Europe. Exploitée depuis 75 ans, l'oasis de silence a rouvert ses portes samedi après sa traditionnelle pause hivernale.

On n'entend que le mouvement des rames qui fendent les eaux claires du lac et celui des sources qui gouttent dans l'étendue de 6000 mètres carrés, à l'abri des regards. Pas de bruit, pas de réseau, pas d'autres organismes vivants, que des truites arc-en-ciel introduites pour vérifier la qualité de l'eau. Le silence est envoûtant.

Longtemps, la grotte est restée immergée, raconte à Keystone-ATS Célestin Marquis, étudiant à Lausanne, et surtout guide et capitaine de l'embarcation qui peut accueillir jusqu'à quarante personnes. Au printemps 1943, le niveau de l'eau baisse, probablement en raison de mouvements de roche, et révèle la grotte.

"Nous sommes en pleine guerre mondiale. L'armée mandate deux hommes de sa brigade de spéléologie, créée pour décrire les cavités à travers les Alpes, dans le cadre de sa stratégie de réduit national", ajoute le directeur du site Cédric Savioz. La première exploration et les relevés initiaux se font à bord d'un petit canot pneumatique.

Mais le niveau de l'eau est toujours trop haut pour que la grotte puisse être appréciée par le commun des mortels. Jusqu'au séisme de 1946. Cette année-là, la terre de la région tremble et provoque d'importantes fissures par lesquelles une partie de l'eau s'échappe: le niveau baisse de 15 mètres. Depuis lors, il est resté plus ou moins le même.

Sécurisation

La barque s'enfonce dans la grotte. Les ondulations du gypse, sculptées par l'eau de pluie et de fonte des neiges qui ruisselle, contrastent avec la dureté du marbre silicieux et du schiste qui gardent la trace des balafres provoquées par le tremblement de terre.

Dans le silence rythmé par les clapotis, le gondolier éclaire la voûte de sa lampe-torche pour montrer des clous et autres puissants ancrages constellant le plafond, preuves des gros travaux de sécurisation effectués dans les années 2000. L'exploitation de la grotte est allée de pair avec une meilleure sécurisation.

La voûte est monitorée et contrôlée, note le guide, et des filets sont posés aux endroits stratégiques. Durant l'hiver, quand le site est fermé, des travaux de purge de la roche sont également effectués. En ce début de saison, tout est prêt pour accueillir les premiers visiteurs attendus dès le 16 mars. Environ 100'000 personnes devraient s'élancer sur l'eau jusqu'à la mi-novembre.

Une flotte de gondoliers

En flottant sous cette voûte, éclairée d'une lumière discrète, on imagine sans peine les premières petites barques en bois, mises à disposition par des jeunes du village, qui obtiennent une concession en 1949, début de l'exploitation touristique. "A cette époque, les visites se faisaient de façon indépendante: on donnait l'accès aux visiteurs qui ramaient eux-mêmes à la lumière des flambeaux", glisse Cédric Savioz.

Aujourd'hui, une quinzaine de guides qui maîtrisent les gondoles et au moins le français, l'allemand et l'anglais, sont là pour conduire les touristes au bout de cet antre, à grands renforts de petites et grandes histoires. "Chacun a sa manière de parler de la grotte", précise Célestin Marquis qui apprécie le côté "atypique" de ce job d'étudiant.

Mystères poétiques

Lui aime bien commencer par dire que ce lac blotti dans la roche est "là depuis des milliers d'années", même s'il n'a été découvert qu'en 1943. Les habitants connaissaient l'existence d'eaux souterraines, marquées à la surface par une petite mare auprès de laquelle ils venaient faire des pique-niques et y rafraîchir leurs bouteilles. Mais ils ignoraient l'existence d'une grande cavité de plusieurs centaines de mètres, explique le gondolier dont la voix emplit l'espace, tandis qu'il manie avec adresse une rame après l'autre.

Il y a une autre légende que l'on aime raconter, sourit Cédric Savioz. Celle qui veut que les jeunes filles du village qui n'avaient pas encore trouvé d'époux aillent devant cette gouille le soir de Noël. Et lorsque la lune se reflétait sur la surface de l'eau, elles pouvaient voir apparaître le visage de leur futur mari. Le lac a beaucoup de mystères poétiques, résume le directeur.

Les événements proposés aiment jouer de cette ambiance, à l'image des soirées musicales organisées régulièrement. Les artistes prennent place sur une barque au coeur de la grotte, tandis que les mélomanes sont installés tout autour dans d'autres gondoles, explique le directeur.

Du vin au calme

Alors que la barque a presque atteint le fond de la grotte, Célestin Marquis pointe de sa lampe quatre fûts bien installés. Ils contiennent du vin issu des parcelles situées entre 30 et 70 mètres en dessus de la cavité. Ils sont au calme, juste à côté d'une Vierge Marie déposée là par le prêtre venu baptiser les lieux.

La visite se termine, il est temps de rentrer. Et au moment où la gondole touche le ponton de départ, que l'expérience entre dans nos souvenirs, les téléphones se mettent à biper.

ats

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