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Berlin frappe Ankara au portefeuille

L’arrestation d’un militant allemand en Turquie a mis le feu aux poudres entre les deux pays

Publié le 21.07.2017

Temps de lecture estimé : 4 minutes

Allemagne-Turquie » L’Allemagne a annoncé hier une «réorientation» de sa politique vis-à-vis de la Turquie avec des mesures qui risquent de pénaliser économiquement son partenaire historique. Berlin est excédé par l’interpellation de défenseurs des droits de l’homme à Istanbul.

La première mesure est une mise en garde du Ministère des affaires étrangères pour les voyages en Turquie, destination traditionnellement très prisée des vacanciers allemands. Et ce en pleine saison touristique.

A Berlin, le chef de la diplomatie Sigmar Gabriel a accusé Ankara de violations systématiques de l’Etat de droit et jugé qu’elles «éloign(ai)ent la Turquie du socle des valeurs européennes» et de celles de l’OTAN. Elles ne peuvent «pas rester sans conséquences», a-t-il dit. Une position qualifiée aussi de «nécessaire et indispensable» par la chancelière Angela Merkel.

Ankara s’indigne

«Envoyer un message (aux Allemands) disant que se rendre en Turquie n’est pas sûr relève d’une grande irresponsabilité politique», a réagi en Turquie le porte-parole du président Recep Tayyip Erdogan, Ibrahim Kalin. «Tenter d’éveiller des doutes dans l’esprit des investisseurs allemands, c’est inacceptable», a-t-il ajouté.

Les mesures envisagées à Berlin incluent un réexamen des garanties, prêts ou aides qu’apportent le Gouvernement allemand ou l’UE aux exportations ou aux investissements dans le pays.

La décision allemande de frapper financièrement la Turquie intervient en réaction immédiate à la mise en détention d’un défenseur allemand des droits de l’homme avec cinq autres militants, dont la directrice d’Amnesty International en Turquie. La justice turque a accusé Peter Steudtner d’avoir «commis un crime au nom d’une organisation terroriste».

Une expression qui désigne le plus souvent pour les autorités turques les partisans du prédicateur Gülen, accusé d’avoir fomenté le putsch manqué du 15 juillet 2016, et les séparatistes kurdes du PKK. Le chef de la diplomatie allemande a jugé ces accusations «injustifiées». Au total, neuf Allemands, dont quatre ayant également la nationalité turque, sont aujourd’hui détenus en Turquie.

Proposition d’échange

Parmi eux, Deniz Yücel, un journaliste germano-turc, correspondant du quotidien allemand Die Welt, placé à l’isolement depuis près de cinq mois. Pour Sigmar Gabriel, tout cela ne vise qu’à «réduire au silence toute voix critique en Turquie».

Selon plusieurs journaux allemands, les personnes incarcérées «servent systématiquement d’otages» à Ankara, qui espère les échanger contre des Turcs réfugiés en Allemagne car soupçonnés par leur pays d’être proches du mouvement Gülen. Selon Bild, M. Erdogan a même proposé d’«échanger» le journaliste de Die Welt contre deux ex-généraux de l’armée turque réfugiés en Allemagne.

M. Gabriel a aussi confirmé que le pouvoir turc avait remis à Berlin une liste de 68 grou­pes allemands ou cadres dirigeants d’entreprises, parmi lesquelles Daimler et BASF, qu’il accuse de soutien au «terrorisme».

Fonds européens

L’appel à la vigilance pour les Allemands se rendant en Turquie peut avoir des conséquences économiques directes pour Ankara. Les touristes allemands représentent 10% des étrangers qui visitent chaque année la Turquie. «Tout le monde peut être concerné. Les choses les plus absurdes sont possibles», a encore jugé Sigmar Gabriel, faisant référence au tempérament imprévisible de Recep Tayyip Erdogan.

Berlin a aussi laissé planer la menace d’une réduction des fonds européens que perçoit Ankara dans le cadre de ses négociations d’adhésion à 
l’UE: 4,45 milliards d’euros (4,9 milliards de francs) prévus entre 2014 et 2020. Mais la marge de manœuvre de Berlin reste limitée du fait du pacte migratoire qui lie Ankara à l’Union européenne.

A deux mois d’élections législatives, les responsables politiques allemands ne veulent pas risquer un nouvel afflux de migrants comme en 2015 et 2016. Avec plus de deux millions de réfugiés en grande partie syriens qui s’entassent en Turquie, Ankara dispose d’un puissant moyen de pression. ats/afp/reu

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