La Liberté

«Comme un hérisson au milieu de l'autoroute»

Mathieu Gobet part samedi pour la deuxième étape de la Mini-Transat, une course transatlantique en solitaire sans assistance. Le marin de Villars-sur-Glâne revient sur la première étape, conclue à une excellente 26e place.

Moins de 7 mètres de long: la taille du bateau sur lequel le Fribourgeois traversera l'Atlantique dès samedi. © DR
Moins de 7 mètres de long: la taille du bateau sur lequel le Fribourgeois traversera l'Atlantique dès samedi. © DR

AS

Publié le 31.10.2019

Temps de lecture estimé : 12 minutes


 

Parti le 5 octobre de La Rochelle, Mathieu Gobet est arrivé dix jours plus tard aux Canaries. Le marin de Villars-sur-Glâne a surpris tout le monde avec une 26e place (sur 65 bateaux ayant rallié l’arrivée dans sa catégorie), une performance d’autant plus remarquable que son voilier «Méa Coule pas» est d’ancienne génération et que le Sarinois dispose d’un des plus petits budgets de la flotte.

Pour «La Liberté», le premier Fribourgeois à traverser l’Atlantique en solitaire en compétition a accepté de revenir sur la première partie de sa course (vidéo ci-dessus) et d’ouvrir son journal de bord, que nous publions ci-dessous. Samedi 2 novembre, Mathieu Gobet repartira pour environ vingt jours de mer qui doivent l’amener jusqu’en Martinique.


Avant le départ

Après deux semaines de reports successifs, ce 5 octobre sera finalement le jour J. Nous sommes prêts dès 6h30, heure de remise des téléphones portables. Avec le briefing météo qui a duré jusqu’à 22h00 la veille, ça fait tôt... A 7h30, les bateaux commencent à sortir du port. L’ambiance est assez mystique avec les pontons éclairés aux faisceaux des lampes frontales! Quelques accolades plus ou moins appuyées plus tard, c’est à mon tour de larguer les amarres. Etrangement, je ressens relativement peu d’émotions. Je mets ça sur le compte de l’expérience acquise lors de ma dernière course, qui a aussi duré dix jours. Ou alors je ne réalise pas, ce qui m’arrange bien. Pas le temps d’y réfléchir qu’un spectateur me crie «Allez Gottéron!» au passage de l’écluse! Etonné, je riposte par un «Cette année, c’est la bonne!» 

Après ce moment lunaire, je me prends à compter mon nombre de départs. C’est le septième. Un peu léger quand même face aux cadors qui m’entourent... Je me sens tout de même de plus en plus à l’aise sur les procédures de départ. Je sais où je veux être placé et j’ose m’imposer, dans une certaine mesure, pour garder ma place.


Jour 1

Lors de notre dernière poignée de mains avec le météorologue, il nous a glissé qu’un front très actif (beaucoup de vent et surtout des rafales) allait passer en début de matinée. J’essaie de dormir le plus possible pour être frais. Catastrophe, le front arrive avec trois heures d’avance et nous cueille à froid. Une nuit épuisante d’où je sors sans dommages, du moins au bateau. Car j’ai un violent mal de tête. J’essaie tout ce qui marche d’habitude: boire, manger, prendre du paracétamol. Rien à faire, la situation empire. Je me fais peur à ne plus pouvoir distinguer le nord du sud... Je me cale sur la route des concurrents que je capte encore à la radio et je vais dormir avant de faire des bêtises.


Jour 2

La grosse frayeur est passée: mon mal de tête n’est qu’un mauvais souvenir. Sans doute le cumul du manque de sommeil avant le départ et la première nuit compliquée... Nous ne sommes d’ailleurs pas au bout de nos peines: le golfe de Gascogne, à cette saison, se mérite. Avant d’avoir du vent dans le dos plus tard dans la course, nous devons subir les éléments. Je bénis l’achat d’un ciré de haute mer avant de partir, mais je me demande surtout ce que je fais là. La nuit est noire comme je ne l’ai jamais vécu auparavant, j’ai presque un peu peur. Pire: à la suite d’un départ au tas (l’équivalent d’une grosse sortie de route), mon bateau part à l’abatée pour la première fois de ma courte vie de marin. Le voilà couché sur l’eau, de nuit et dans 25 noeuds de vent... J’applique la procédure apprise par coeur, puis je réfléchis à une solution durant une bonne dizaine de minutes. Je finis par m’en sortir et je me dis que j’ai beaucoup de chance de n’avoir rien cassé dans l’incident, allongé au fond de ma bannette, trempé et transi de froid.

« J’ai expérimenté ce que vit un hérisson qui traverse l’autoroute »

Mathieu Gobet


Jour 3

Je ne fais pas tellement le malin, je mets un peu de temps avant de renvoyer de la toile. Mais aujourd’hui est un autre jour: la météo est belle et je file tout droit vers le mythique Cap Finisterre. Autant en 2018 lors de ma course précédente il ne m’avait pas impressionné outre mesure, cette fois je vais vivre une nuit mythique. Il est 19h30 et entre le trafic maritime et les différentes lumières à la cote, je peine presque à me situer. Heureusement que le phare est là. La pleine lune et une longue houle complètement le tableau et me font saisir l’aspect mythique du lieu.


Jour 4

Un DST est un dispositif de séparation du trafic, que l’on appelle aussi «rail des cargos». En gros, les cargos qui vont du nord au sud ou le contraire sont obligés de passer dans ce dispositif. Celui du Cap Finisterre est constitué de quatre voies, deux montantes et deux descendantes. Le trafic est très dense sur environ 50 kilomètres. Traverser le DST sur un bateau de 6 mètres 50 est à peu près le meilleur moyen de comprendre ce que vit un hérisson qui traverse une autoroute. Il est toutefois assez dingue de voir comme un cargo de 300 mètres accepte de modifier sa trajectoire de quelques degrés pour un voilier de poche, lorsque c’est demandé gentiment. Une nouvelle navigation de nuit mythique.


Jour 5

Je prévois de me reposer de cette nuit éprouvante et de passer une journée tranquille sous code 5, le plus petit des SPI. C’était sans compter sur Thomas, un concurrent à la radio qui m’annonce envoyer le SPI médium, une voile plus grande, plus puissante et forcément plus casse-gueule... C’est parti, je m’aligne! Le SPI médium, un bord agressif avec des pointes à 12 noeuds sous un magnifique soleil me font passer l’une des plus belles journées de ma vie. Je me sens bien sur le bateau, j’ai trouvé mon rythme, j’arrive à atteindre de belles vitesses: je verse quelques larmes sur «Pour que tu m’aimes encore». Il y a des choses qui ne s’expliquent pas...

Lire aussi » Il va défier l’Atlantique


Jour 6

Cette fois, je veux vraiment me reposer, mais le vent s’intensifie à 25 noeuds. Les concurrents que je capte à la radio passent à la voile inférieure, ce que je comprends en allant faire une sieste: le bateau tape dans tous les sens, accélère et part dans des surfs... Mais je trouve que le comportement de mon bateau est assez sain et il n’y a pas de raison objectifs de réduire ma vitesse. Je me blottis sur ma bannette en mettant du Emilie Zoé en essayant de me concentrer uniquement sur ma musique. Me voilà seul, de nuit, blotti comme un enfant sur mon petit bateau lancé à 13 noeuds, à 300 kilomètres des côtes portugaises. Et pourtant, je ne rêve pas...


Jour 7

Tandis que je me sens presque en croisière, ce n’est pas le cas chez certains de mes concurrents, qui sont aussi des amis. Entre casse, coup de mou ou ras-le-bol, je suis bien content que cela se passe mieux de mon côté. J’ai même confiance pour la suite des opérations. D’ailleurs, après une nuit sans histoire, j’informe le seul concurrent que je capte encore que je pense empanner (virer de bord en passant par vent arrière, ndlr). Il me rétorque que selon lui, ce n’est pas une bonne idée et qu’il ne me suivra pas. J’empanne quand même! Pour moi, c’est très signifcatif: j’ai confiance en mon raisonnement et je n’ai pas peur de perdre mon seul contact. Quel changement depuis ma course précédente où je n’osais pas changer de voile sans l’aval de mes voisins!


Jour 8 

Après une nuit fatigante avec un vent erratique qui a nécessité beaucoup de changements de voiles, je me «réveille» (peut-on dire ça avec des siestes d’une heure au maximum?) et mon bateau file sur la route directe. Mieux: après sept jours de mer, je suis à côté de deux marins chevronnés. Deux marins que je ne côtoyais qu’en procédure de départ, il y a quelques mois... J’entreprends un tour du bateau pour vérifier tous les points sensibles. Deux heures et une poulie de changée plus tard, tous les signaux sont au vert: mon bateau est en parfait état!


Jour 9

Lors de l’annonce de la météo, j’apprends que je fais partie de la première moitié de la flotte ! Quel chemin parcouru, j’en ai des chaudes larmes qui coulent sur mes joues… Je décide de profiter de ce bon moment. Nous recevons aussi des informations sur les concurrents qui ont abandonnés, ont été hélitreuillés ou contraints de faire escale. Cela ne me désarçonne pas, sans doute dans une tentative d’auto-persuasion que cela ne peut pas m’arriver. Mais cela nous rappelle à quel point nos projets sont toujours à la merci d’un container qui traîne dans l’eau ou d’un boulon un peu faible.


Jour 10

A l’approche de l’arrivée, je m’efforce d’accrocher le «bon wagon» en restant dans le bon groupe. Maintenant que le plus dur est fait, j’aimerais bien conserver mon classement. Je vais vite me rendre compte que rien n’est gagné. Je rate un empannage et je me retrouve avec un SPI emmêlé dans ma voile d’avant! Une situation très inconfortable que je n’avais jamais expérimentée auparavant. Il fallait que ça arrive de nuit, dans 20 nœuds, à douze heures de la fin de course…

Après une heure de combat, tout rentre dans l’ordre et j’envisage une sieste lorsque j’intercepte un appel radio: «Mathieu adopte une trajectoire bizarre, non?» «Oui, mais il doit calmer le jeu après s’être pris un gros vrac.» Un échange qui me pique au vif. C’est décidé, j’envoie mon plus grand SPI et je reste collé à la barre toute la nuit. On touche au but: le halo de lumière de Gran Canaria se fait de plus en plus grand…


Arrivée

Au petit matin, je constate que ma manœuvre a été payante: je suis en tête du petit groupe et j’ai même doublé durant la nuit des concurrents qui sont devant depuis le début! Moi qui ne suis pas compétiteur à la base, cela me titille et j’essaie d’être un peu plus «offensif» dans mes négociations avec les cargos pour arriver à Las Palmas, énorme port de commerce. Je franchis la ligne à la 26e place, heureux et excité. L’appétit vient en mangeant et finalement, cela veut quand même dire que 25 marins ont fait mieux que moi! Mais c’est surtout le classement des bateaux d’ancienne génération qui nous importe et là je pointe au 4e rang. Et ça, c’est fou! Mais il reste vingt jours de mer, dès le 2 novembre…

Pour suivre la deuxième partie de la course en direct: » www.minitransat.fr

» (Re)voir notre portrait de Mathieu Gobet:

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