La Liberté

Du fusil d’assaut au bulletin de vote

Les FARC ont fêté leur conversion en parti. Mais une guérilla sanglante peut-elle devenir fréquentable?

Rachel Richterich, Bogota

Publié le 08.09.2017

Temps de lecture estimé : 8 minutes

Colombie » La fête fut belle, les concerts se sont succédé jusque tard dans la soirée, mêlant salsa, musique traditionnelle caribéenne, reggae et rap. Et la foule était au rendez-vous, des Colombiens de tous âges, venus célébrer la conversion de l’ex-guérilla marxiste la plus connue du pays en parti politique, entérinant le processus de paix.

Plusieurs milliers de personnes ont accueilli dans un tonnerre d’applaudissements le chef de file des anciennes Forces armées révolutionnaires de Colombie, devenues la Force alternative révolutionnaire commune (FARC), Rodrigo Londoño Echeverri, plus connu sous le pseudonyme de Timochenko. «Timo! Timo!» C’était il y a tout juste une semaine, sur l’une des places les plus symboliques de Bogota, la place Bolivar, située entre le Parlement et le palais présidentiel Casa Nariño.

Pardon demandé

Mais une guérilla sanglante, acteur armé d’un conflit qui a duré plus d’un demi-siècle faisant 220 000 morts, dont 180 000 civils (entre 1958 et 2012) et huit millions de déplacés, peut-elle devenir une formation politique fréquentable? Et, surtout, pareil paradoxe est-il acceptable pour les proches de disparus, victimes de violences, témoins de massacres et tortures, communautés déplacées, ou encore enfants recrutés de force durant le conflit? Le leader des FARC a d’ailleurs démarré son long discours en demandant pardon: «Nous tendons nos mains en signe de réconciliation», a-t-il lancé.

«C’est important qu’il le fasse. Ces personnes ne demandent que la paix», explique une assistante sociale. Elle travaille pour l’Unité pour l’accueil et la réparation des victimes à Bogota, un bureau mis en place par le gouvernement pour garantir l’application de la Loi 1448 de 2011, un système pour protéger, assister, accueillir et donner entière réparation aux victimes du conflit.

La jeune femme, qui tient à rester anonyme, en veut pour preuve le oui massif à l’accord de paix dans les régions les plus violemment marquées par le conflit, lors du référendum de l’an dernier (dans le Chocó, par exemple, près de 80% de oui, le Putumayo, 65,5%). Par ailleurs, les victimes savent qu’en entrant dans la légalité, les FARC vont devoir rendre des comptes. «Elles espèrent ainsi enfin connaître la vérité. Qui, pourquoi? Et surtout, où sont leurs proches disparus, ne serait-ce que leur cadavre, pour pouvoir faire leur deuil», explique l’assistante sociale.

Désarmés, pas dociles

Reste que la décision des 1200 délégués de conserver le même acronyme, «FARC», profondément associé à la guerre, interroge. Certains observateurs estiment que cela pourrait compromettre tout succès politique futur. Amedeo Gomez, un jeune membre du parti, admet le côté controversé de ce choix. «Mais c’est aussi une opportunité, celle de donner une nouvelle chance – y compris au niveau médiatique – à cet acronyme qui porte en lui la notion même de rébellion», poursuit-il.

Mais peuvent-ils encore incarner cette rébellion, issue en 1964 d’une insurrection paysanne, ou un quelconque contre-pouvoir en tant que formation officielle et espérer le succès dans la voie politique? La formation abandonne les armes, mais pas la lutte: «Nous voulons nous battre par des voies pacifiques et légales, pour construire un pays différent», clamait Timochenko la semaine dernière. Un indice de cette ténacité peut-être dans la rose dessinée pour emblème du parti, qui évoque un poing fermé.

Quant aux chances politiques du parti, l’accord de paix négocié à La Havane leur octroie cinq sièges dans chacune des deux chambres du Parlement, pour deux mandats. Mais ces députés et sénateurs devront tout de même se présenter aux élections et rien ne garantit qu’ils amélioreront leur représentation. Encore moins qu’ils formeront un jour un gouvernement comme l’a publiquement souhaité le numéro deux des FARC Luciano Marin Arrango, connu sous le pseudonyme d’Ivan Marquez.

Menacés

Car dans l’intervalle, les chefs de file des FARC ont exprimé leurs craintes de vivre de nouveaux assassinats sélectifs. Autrement dit, des assassinats politiques, comme ceux survenus durant les années 1980, lorsque près de 5000 militants de l’opposition d’alors, l’Union patriotique, avaient été tués après une première tentative de paix avec le gouvernement. Des craintes fondées, puisque au lendemain des festivités, des menaces de mort à l’encontre des dirigeants et des membres du nouveau parti circulaient sur les réseaux sociaux.

«Nous attendons du gouvernement qu’il tienne sa promesse de nous protéger», martèle Amedeo Gomez. Il se réfère au plan de sécurité annoncé mi-août par le ministre de la Défense pour les 7000 guérilleros aujourd’hui désarmés. Ce, juste après que Timochenko dénonçait sur Twitter 22 assassinats. «La sécurité des FARC et de leurs familles est critique», écrivait-il alors.

Femmes aux commandes?

Force est de constater que la paix dans le pays ne tient qu’à un fil. D’autant plus que de nombreuses régions continuent à être la proie de violences et de déplacements, de la part d’autres groupes armés. «Nous recevons très régulièrement de nouvelles victimes, tous âges et sexes confondus et de tout le pays», déplore l’assistante sociale de l’unité de Bogota.

Pourtant, s’il n’est pas de nature optimiste, le Colombien vit d’espoir. Présent aux festivités de la semaine dernière, Dino Segura, 75 ans, incarne ce trait. «Ce moment marque la conjoncture de deux étapes: la fin de la guerre et l’opportunité de connaître enfin un pays différent, plus ouvert.» Ouvert à la diversité, politique et sociale.

Les femmes étaient présentes en nombre à la fête, espérant comme Dilma Delgado, une Villavicense de 65 ans, «voir enfin des femmes aux commandes du pays», comme l’ont promis les FARC. «Je pense que la Colombie ne connaîtra plus jamais cela. C’est aujourd’hui ou jamais», conclut pour sa part Dino Segura.


 

Ces partis politiques qui ont été forgés dans la violence

La création du parti FARC, en Colombie, n’est que le dernier exemple de conversion d’une force révolutionnaire violente en mouvement politique respectable dans le cadre d’un processus de paix.

En Europe, le groupe rebelle le plus connu est l’IRA (Armée républicaine irlandaise), qui a déposé les armes en 2005 après avoir mené pendant des décennies des attentats terroristes aussi bien en Irlande qu’en Ulster et en Angleterre. Depuis lors, le mouvement privilégie la voie démocratique par le biais du parti Sinn Fein pour atteindre ses objectifs politiques d’unification du pays. Le parti nationaliste de gauche, actif en Irlande et en Irlande du Nord, compte actuellement 23 députés au Parlement irlandais et 27 sièges à l’Assemblée d’Irlande du Nord.

En Amérique centrale, on peut évoquer la transformation de l’Unité révolutionnaire nationale guatémaltèque, un mouvement de guérilla marxiste, en parti politique légal en 1998. Sa militante Rigoberta Menchú, Prix Nobel de la paix, a été candidate à l’élection présidentielle. Au Salvador, ce sont les forces populaires de libération Farabundo Marti, d’idéologie marxiste, qui, après avoir semé la terreur jusqu’en 1992, sont devenues un parti politique respecté. En 2009, son candidat Mauricio Funes a d’ailleurs remporté l’élection présidentielle.

Dernier exemple récent, en Afrique, c’est en République démocratique du Congo (RDC) que le Mouvement du 23 mars (M23) s’est tourné vers la politique. Né des suites de la guerre du Kivu, il a déposé les armes en 2013 après avoir été accusé de nombreuses violences envers les populations civiles par les Etats-Unis, les ONG et le Tribunal pénal international. Lancé par l’ancien chef de la rébellion Jean-Marie Runiga, le nouveau parti, nommé Alliance pour le salut du peuple, a été enregistré ce printemps. PFY

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