Du côté d’Estavayer-le-Lac: la mare aux grenouilles…
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Dans Le procès pour l’ombre de l’âne, pièce radiophonique de Friedrich Dürrenmatt écrite en 1951, un dentiste, qui a loué un âne l’emportant en plein désert, s’arrête devant Abdère. Il se demande qui va s’installer dans ce bled: «Dix mille habitants – n’en parlons pas. Aux environs, il n’y a que des marais, où il n’y a que des grenouilles – n’en parlons pas, j’en ai le vertige, des grenouilles. Bref: le fin fond de la province.»
Septante ans plus tard, dans un bourg de la Broye bordant une grande gouille où s’ébattent des batraciens, les seigneurs locaux, bombant le torse, annoncent sur un ton déclamatoire l’arrivée du dix-millième habitant. Cet habitant-là fait peut-être partie des contribuables aisés qu’ils s’évertuent d’attirer – rendez-vous compte. Dix mille habitants – rendez-vous compte.
Pourtant, cette politique démographique n’a en soi aucun sens, d’autant moins que la qualité de vie d’une grande partie de la population diminue, parce que les voies de circulation sont inadéquates et que les nuisances dues au trafic deviennent insupportables.
Mettre fin au bétonnage à outrance, aménager des espaces pour valoriser le patrimoine, s’attaquer aux vrais problèmes? – n’en parlons pas, les hobereaux locaux subiraient de ce fait l’ire des promoteurs immobiliers et ils seraient réduits à gérer de médiocres marais. Certains d’entre eux ambitionnent d’ailleurs de revêtir le costume de député pour pérorer à Hôtel de ville cantonal – rendez-vous compte.
Ce bourg de la Broye est le reflet d’Abdère: une petite mare dans laquelle coassent de grosses grenouilles.
Jacques Droux, Estavayer-le-Lac