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Les haies, bien plus que des arbustes

La disparition des haies naturelles a un impact négatif sur l’écosystème. Des citoyens s’en émeuvent

Autrefois très répandues dans le paysage helvétique, les haies naturelles ont reculé en même temps que l’agriculture s’est intensifiée. D’après le Service fribourgeois des forêts et de la nature, des plantations sont toutefois régulièrement entreprises. © Alain Wicht
Autrefois très répandues dans le paysage helvétique, les haies naturelles ont reculé en même temps que l’agriculture s’est intensifiée. D’après le Service fribourgeois des forêts et de la nature, des plantations sont toutefois régulièrement entreprises. © Alain Wicht

Marc-Roland Zoellig

Publié le 14.06.2019

Temps de lecture estimé : 7 minutes

Nature » A l’heure des grandes mobilisations pour la cause environnementale, il y a des gestes simples et concrets favorisant la préservation du milieu naturel. Parfois, il suffit même de ne rien faire du tout. Par exemple ne pas arracher les haies naturelles composées d’essences indigènes comme l’églantier, l’aubépine, le cornouiller ou encore la viorne. Le législateur a d’ailleurs jugé bon de protéger ces végétaux remplissant une multitude de fonctions favorisant la biodiversité et le fonctionnement de l’écosystème.

Mais il arrive bien sûr que ces dispositions ne soient pas respectées. Marc Menoud ne décolère pas depuis qu’une haie naturelle de plus de 300 mètres, longeant la voie ferrée entre Autigny et Chénens, a subi une destruction par étapes, jusqu’à être quasiment annihilée. Cet amoureux de la nature, écologiste de la première heure, se désole du peu d’empressement que les autorités mettent, selon lui, à appliquer la loi. Depuis 2012, il multiplie les courriers et les appels adressés à Pro Natura (qui a dénoncé le cas aux autorités locales), au Conseil communal d’Autigny et au Service des forêts et de la nature (SFN). «Même une pétition signée par 83 citoyens n’y a rien changé.»

«Totalement insuffisant»

Sur place, Marc Menoud désigne une maigre alignée de jeunes arbustes épousant le tracé de l’ancienne haie. «Des écoliers sont venus replanter des arbres il y a quelques années, mais c’est totalement insuffisant», estime-t-il.

Que dit la loi dans ce cas de figure? Le règlement communal d’urbanisme mentionne la protection des boisements hors forêt, rappelle la syndique d’Autigny Dominique Haller Sobritz. «Nous ne connaissons pas les motivations de l’agriculteur qui l’a détruite», ajoute-t-elle, mais la commune «ne voit pas d’intérêt prépondérant» à cette destruction et se positionne donc en faveur du maintien de cette haie. «Suite à une dénonciation de Pro Natura en 2012, elle a été replantée en 2014, avec l’aide du Secteur nature et paysage, par une classe du cercle scolaire d’Autigny-Chénens. En 2016 la préfecture a classé l’affaire», explique la syndique.

Etat des lieux cette année

Elle ajoute qu’une vision locale a permis de constater la présence de nombreux terriers de renards ou de blaireaux le long de la nouvelle haie. Un état des lieux sera effectué cette année, soit 5 ans après le replantage, précise-t-elle encore.

« Tout abattage, quelle que soit la zone concernée, doit être autorisée par la commune »

Regula Binggeli

Il s’agit là d’une procédure usuelle dans ce cas de figure, confirme Regula Binggeli, collaboratrice scientifique au Secteur nature et paysage du SFN. «Si l’état des haies n’est pas satisfaisant, une nouvelle plantation sera effectuée, comme cela a été le cas à Billens-Hennens ou Avry par exemple.» D’après la loi sur la protection de la nature et du paysage, entrée en vigueur en 2014, les arbres et les haies ayant un intérêt écologique ou paysager sont protégés en dehors des zones à bâtir, rappelle Regula Binggeli. «Selon ces critères, il n’y aurait guère qu’une haie de thuyas ou d’une autre espèce exotique entourant une ferme qui ne bénéficierait pas d’un tel statut de protection.»

Sensibilité accrue

En zone à bâtir en revanche, la commune a toute latitude pour désigner, dans son plan d’aménagement local (PAL), ce qui doit être protégé ou non, ajoute-t-elle. «Tout abattage, quelle que soit la zone concernée, doit toutefois être autorisé par la commune, le canton exerçant la haute surveillance en la matière. Et en cas d’abattage de boisements protégés hors zone à bâtir, la décision de la commune sur la demande doit être publiée dans la Feuille officielle

Intérêts à concilier

Par rapport à la situation antérieure à 2014, il n’y a ni plus ni moins d’abattages de haies et d’arbres, assure Regula Binggeli. «Mais beaucoup de gens sont devenus plus sensibles à cette thématique. Au niveau communal, on trouve parfois, au contraire, des personnes manquant de cette sensibilité. La confrontation entre ces positions inconciliables aboutit à des conflits. Nous sommes souvent interpellés par des personnes ayant une approche émotive et irrationnelle du sujet: le moindre arbre coupé, même malade, ça ne va pas.»

Lorsque des cas d’abattage illégal lui sont signalés, le SFN donne suite, assure-t-elle. «Mais si une commune a décidé de ne pas protéger un arbre ou une haie, nous ne pouvons pas aller à l’encontre de cette décision.»

Concilier rentabilité agricole et promotion de la biodiversité n’est pas une tâche aisée, concède la collaboratrice scientifique. «Certaines régions s’y prêtent mieux que d’autres. Mais le canton est recouvert de réseaux écologiques», rassure-t-elle. Des haies sont régulièrement plantées et le rôle du monde agricole – qui en retire aussi des payements directs – est important dans ce cadre. Mais revenir aux paysages de bocage d’il y a 70 ans, lorsqu’il y avait davantage de paysans se partageant de plus petits domaines et utilisant moins de moyens mécanisés, sera difficile, conclut Regula Binggeli.


Couloirs pour la faune, protection contre les éléments naturels

Les haies naturelles sont importantes pour l’écosystème. Elles sont victimes de l’uniformisation des paysages.

«En observant d’anciennes photographies aériennes, notamment disponibles sur le portail cartographique du canton de Fribourg, on remarque une disparition progressive des traditionnels paysages de bocage, se caractérisant par des haies et des vergers», explique Sylvie Rotzetter, biologiste et collaboratrice de Pro Natura. «Il s’agit d’un problème général, visible partout.» Avec l’intensification de l’agriculture notamment, les haies ont perdu leur utilité d’antan et le paysage est devenu de plus en plus uniformisé. Dans les agglomérations aussi, des boisements sont détruits, souvent au profit d’espèces exotiques ou ornementales, déplore Sylvie Rotzetter.

Les haies naturelles jouent pourtant un rôle important pour la biodiversité et le fonctionnement de l’écosystème. «Elles permettent par exemple le déplacement des animaux. Plus l’animal est petit, plus il aura du mal à effectuer de longues distances à découvert, où il risque aussi d’être repéré par un prédateur. L’hermine, notre animal de l’année 2018, a ainsi besoin d’un environnement riche en structures et les haies en sont un bon exemple.»

Les haies composées d’essences indigènes constituent par ailleurs des réserves de nourriture pour la faune locale. «Les essences actuellement privilégiées en ville, en particulier la laurelle ou les thuyas, ne servent à rien à cet égard.» Une bonne haie indigène comporte entre 10 et 20% de buissons épineux (comme le prunellier) qui servent de cachettes aux oiseaux comme la pie-grièche écorcheur, ajoute la biologiste.

Enfin, les haies ont des rôles fonctionnels, comme la protection contre le vent et les glissements de terrain. «Pour toutes ces raisons, il est important de conserver un paysage structuré», affirme Sylvie Rotzetter. MRZ

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