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Mourinho a usé Manchester United

Le club anglais a remercié son entraîneur portugais, qui s’est mis à dos une partie de son vestiaire

La magie de José Mourinho semble s’étioler avec les années. © Keystone-archives
La magie de José Mourinho semble s’étioler avec les années. © Keystone-archives
Publié le 19.12.2018

Temps de lecture estimé : 6 minutes

Angleterre » Provocateur, arrogant, clivant, mais multititré: José Mourinho a écumé les plus grands clubs d’Europe et remporté deux Ligues des champions, mais son management sans concession, ses plans de jeu minimalistes usent ses vestiaires et sa magie semble s’étioler avec les années.

Trois doigts pointés vers le ciel bras tendus, qui ont fait parler toute l’Angleterre du football: c’est ainsi que Mourinho avait rappelé aux supporters de la Juventus Turin, occupés à l’insulter lors de cette soirée de Ligue des champions, qu’il avait réussi en 2010 un flamboyant triplé Ligue des champions, championnat et Coupe d’Italie avec l’Inter Milan… Au nez et à la barbe des «bianconeri».

Beaucoup de critiques

Mais ce soir d’octobre 2018, le Portugais de 55 ans est déjà loin des titres et des honneurs. Englué dans un conflit larvé avec le champion du monde Paul Pogba, décroché au classement de Premier League, il fait l’objet de toutes les critiques. Il a eu l’occasion de chambrer à nouveau les supporters turinois au retour, quand son équipe a réalisé un hold-up 2-1 en toute fin de match, et son agent Jorge Mendes a assuré début décembre encore que «José est très heureux au club et le club est très heureux avec lui».

Mais une défaite cinglante (3-1) contre le Liverpool de Jürgen Klopp a eu raison du «Mou», qui sera remplacé par un entraîneur intérimaire jusqu’à la fin de la saison, probablement Michael Carrick.

Voilà qui va relancer une nouvelle fois l’idée d’une «malédiction de la troisième année» pour le natif de Setubal. Au Real Madrid (2010-2013), pour son deuxième passage à Chelsea (2013-2016, après 2004-2008), et donc à Manchester United (2016-2018), il a eu des résultats très vite, mais des règnes courts et achevés dans le chaos.

Pourquoi? Son caractère tranché lui vaut des inimitiés avec certains de ses joueurs. A Manchester, il entretenait des rapports conflictuels avec Pogba. Au Real Madrid, il s’était déjà mis à dos son vestiaire, la superstar Cristiano Ronaldo en tête, ce qui avait logiquement précipité son départ. «Mourinho crame ses joueurs au bout d’un an et demi, deux ans maximum», avait affirmé l’Italien Fabio Capello, ancien sélectionneur de l’Angleterre, au moment de son licenciement de Chelsea. Cela ne l’avait pas empêché de rebondir à Manchester United, avec qui il avait remporté une Ligue Europa et une Coupe de la ligue anglaise pour sa première saison, en 2017.

Son plan de jeu minimaliste, synthétisé par une maxime longtemps efficace visant «la victoire, quelle que soit la façon de l’obtenir», a aussi fait grincer les dents de ses joueurs: c’est parce qu’il a critiqué la façon de jouer de Manchester United que Paul Pogba s’est mis son entraîneur à dos. Il a pourtant remporté de cette façon la Ligue des champions avec le FC Porto en 2004, après une Coupe UEFA (2003), une Coupe du Portugal (2003) et deux championnats (2003, 2004). Puis réussi cette saison 2010 spectaculaire avec l’Inter. Il a enfin été champion d’Angleterre à trois reprises (2005, 2006, 2015) et d’Espagne (2012).

Fraude fiscale

Mais les résultats semblent actuellement davantage sourire, dans le football de clubs, aux entraîneurs joueurs et portés vers l’offensive. Le Manchester City de Pep Guardiola, son grand rival à l’époque où ils entraînaient le Real Madrid et Barcelone, règne sur l’Angleterre en compagnie du Liverpool «hard rock» de Jürgen Klopp.

A son arrivée en Angleterre, ce dernier avait assuré être «The Normal One», par comparaison avec Mourinho, qui revendique être «The Special One». Mais au fil des saisons, la tendance s’est inversée, et le Portugais, à l’image aussi entachée par des affaires de fraude fiscale, semble avoir perdu sa magie au fil des polémiques. Jusqu’à apparaître dépassé? Son palmarès et son aura en font quand même toujours un coach convoité… Mais Klopp, lui, entame sa quatrième saison à Liverpool, et ne trouve vraiment pas grand monde pour le critiquer. ats


 

COMMENTAIRE

De spécial à banal

Ce n’était qu’une question de temps, tant sa situation était devenue inconfortable. José Mourinho est donc passé à la trappe d’Old Trafford. Comme chaque entraîneur, le couperet du résultat a fait son œuvre. Derrière ce limogeage abrupt, ce constat sans fard: le Portugais quitte Manchester United sur un nouveau constat d’échec. Bien sûr, il a ramené une Coupe de la ligue et une Ligue Europa dans l’armoire à trophées des Red Devils. Cela dit, la moisson est bien en deçà des ambitions du club mancunien, en perte de vitesse depuis le départ d’Alex Ferguson.

Une moisson, cela dit aussi, très loin des hauts standards de José Mourinho: ceux appréciés avec Porto, Chelsea, Inter Milan et Real Madrid. Quatre clubs où sa culture de la gagne avait fait merveille, quatre adresses où deux sacres en Ligue des champions et huit titres nationaux ont fait de lui, si ce n’est une légende, l’un des entraîneurs les plus prestigieux de toute l’histoire du football.

Aujourd’hui pourtant, le coup de Mou est total. La recette est éculée: fonds de jeu désolant, tactique défensive stérile et, toujours, cette arrogance qui, partout où elle passe, divise le vestiaire, déstabilise des joueurs aussi déterminants que l’étaient Mesut Oezil et Angel Di Maria au Real Madrid ou, dernièrement, Paul Pogba avant de poser son sac à ManU.

Pour la troisième fois consécutive après Real Madrid et Chelsea, José Mourinho a reçu son bon de sortie. L’homme qui incarnait jadis la réussite a perdu son aura. De Special One comme il s’est toujours autoproclamé, l’arrogant est devenu le Banal One. Ses trois derniers échecs le montrent: la magie n’opère plus. Désormais, Mourinho doit se remettre en question. Ou disparaître à jamais.

Pascal Dupasquier

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