La Liberté

Un appel contre l’islamophobie

L’ancien conseiller général romontois Abdel Lamhangar travaille à la rédaction d’un manifeste, à l’heure où le mépris contre les musulmans se radicalise. Interview de ce Fribourgeois d'adoption de culture musulmane.

Le Romontois d'origine marocaine Abdel Lamhangar lors d'une manifestation à Berne en mars 2010. © Vincent Murith/La Liberté
Le Romontois d'origine marocaine Abdel Lamhangar lors d'une manifestation à Berne en mars 2010. © Vincent Murith/La Liberté
«Il faut arrêter cette dérive qui évoque les années 1930, et dont on ne sait pas où elle va mener», avertit Abdel Lamhangar (ici en juillet 2001). © Alain Wicht/La Liberté
«Il faut arrêter cette dérive qui évoque les années 1930, et dont on ne sait pas où elle va mener», avertit Abdel Lamhangar (ici en juillet 2001). © Alain Wicht/La Liberté

Propos recueillis par Stéphane Sanchez

Publié le 17.04.2014

Temps de lecture estimé : 7 minutes

Abdel Lamhangar, citoyen suisse de culture musulmane, s’est découvert «citoyen de deuxième zone» en 2009, lors de la votation sur les minarets - il décide alors d’arborer un tee-shirt «I’m muslim don’t panic», par contestation. Six mois plus tard, c’est sa citoyenneté suisse qui conduit ce Romontois d’adoption à Berne: il y manifeste contre l’appel à la guerre sainte et au boycott des produits suisses lancé par feu le colonel Kadhafi, en arborant la bannière «Touche pas à mon pays!»

Depuis, Abdel Lamhangar est retourné dans l’ombre, pour plonger dans le débat interne des musulmans. Le voilà qui revient sur la place publique, une fois encore pour réagir. Son projet? «Un manifeste contre l’islamophobie. Il sera publié sur internet vers la fin de l’année. J’y travaille avec quelques autres citoyens de confessions diverses, issus des milieux académiques, médiatiques et politiques et de la société civile, de Suisse et d’ailleurs. C’est une dynamique que j’ai initiée, et qui dépasse les frontières suisses et même européennes. Quelques personnalités sont déjà prêtes à soutenir notre démarche.» Qui sont ces personnalités et ces citoyens? «Trop tôt pour le dire. Je préfère encore œuvrer comme un bon Helvète, discrètement», esquive le Marocain d’origine, tout en exposant la raison de sa démarche.

- Qu’est-ce qui motive ce manifeste?

Abdel Lamhangar: Il y a toujours eu une islamophobie latente en Suisse comme ailleurs. Mais cela va crescendo et l’on a vu ces derniers temps des actes d’agression dans la rue contre des femmes voilées. Pas seulement à Bourges (France), mais chez nous, à Aigle. L’islamophobie est de plus en plus forte et le lien social, le dialogue entre la population et les musulmans, est de plus en plus souvent rompu. Il faut arrêter cette dérive qui évoque les années 1930, et dont on ne sait pas où elle va mener. Le manifeste invitera au sursaut citoyen.

- Vous n’avez pas l’impression de dramatiser…?

La Suisse est citée aux côtés de la Hongrie et de la Grèce, pour son extrême droite virulente, dans le dernier numéro de «Manière de voir» du «Monde diplomatique». Je n’invente pas et je ne suis pas le seul à sentir cette évolution. C’est clairement le produit de l’extrême droite, qui avance partout en Europe et instrumentalise la question de l’Islam pour se positionner. D’autres courants, sous couvert de laïcité, cherchent aussi à effacer les symboles religieux de l’espace public - seulement les symboles musulmans - et contribuent au message de haine.

- Vous dites vous être immergé dans le débat interne des musulmans. Qu’en avez-vous retiré?

La grande majorité des musulmans sont comme les catholiques: ils ne pratiquent pas ou pratiquent discrètement, respectueusement, en tentant au quotidien de concilier leur foi avec la société et, en l’occurrence, en mettant «du vin dans leur eau». Il y a par exemple des débats réguliers et très ouverts qui se tiennent au Complexe culturel des musulmans, à Lausanne: on y parle de l’Islam, de la politique suisse et du civisme, ainsi que de la manière de vivre l’Islam au quotidien en Suisse.

- Parlez-vous au nom de cette majorité discrète?

En quelque sorte. La plupart se perçoivent comme des victimes, impuissants, toujours coupables d’être musulmans. Ils ne parlent pas, parce qu’ils savent qu’on les accusera d’emblée d’insincérité. Beaucoup ont le sentiment qu’on s’acharne, qu’on met systématiquement le doigt sur les points de friction, comme le foulard, la burqa, la viande halal, le rapport à la femme, la prière. Toute la tradition musulmane devient peu à peu «sauvage», «barbare». Elle est sans cesse amalgamée avec la marge intégriste, avec le djihad, la violence. Et toute la démarche faite pour vivre ensemble est passée sous silence. Idem pour la formation des imams à l’Université de Fribourg: elle pourrait servir de base à une citoyenneté musulmane, mais l’UDC, par démagogie, en fait un épouvantail.

- En quoi la formation des imams contribue-t-elle à la citoyenneté?

Cette filière permettra de former de manière critique des imams qui connaîtront ainsi la culture locale et l’Etat de droit, et qui seront capables de répondre aux attentes et aux questions que les pratiquants se posent, ici, au quotidien. Le discours produit à ce jour dans les mosquées s’adresse souvent à des immigrés, moins à des musulmans qui sont nés et qui ont grandi ici. Cette formation sera une source d’harmonisation. Je trouve très humaniste que l’Université de Fribourg, de tradition catholique, accepte ce rôle. C’est un signe fort. Je trouve aussi très démagogique la réaction de l’UDC, qui veut que les musulmans se plient aux règles du pays, et qui rejette en même temps l’outil de cette intégration.

- Vous-même, comment vous positionnez-vous face aux «points de friction» dont vous parliez?

Aucune importance. Je ne me bats pas pour le voile, ou le halal, et je ne condamne pas non plus ces pratiques. Ce que je défends, c’est la liberté de croyance de chacun, chrétien ou musulman. Ce qui ne m’empêche pas de condamner sans ambiguïté les actes de violence commis au nom de l’Islam. Je suis convaincu que la citoyenneté, y compris la liberté de croyance, est compatible avec l’Islam. Je crois qu’il est possible de trouver une place à chacun, en s’appuyant sur le respect, l’acceptation de la différence et le dialogue. A l’inverse, l’interdiction et le mépris ne font que radicaliser les positions. Elle ne favorise que l’extrême droite et l’intégrisme, qui se nourrissent l’un l’autre. Mais elle n’apporte rien au vivre ensemble et à la démocratie.

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Bio express

Abdelmoula Lamhangar

> Né le 29 août 1964 au Maroc, dans le Haut-Atlas.

> Après des études à l’Université de Marrakech en géographie, sociologie et économie, il décroche un poste d’assistant à l’Université de Lausanne, en géographie et en anthropologie.

> Etabli en Suisse depuis 1991 et naturalisé suisse à la fin des années 90.

> Fondateur et gérant de sa propre agence culturelle et de voyages, La voie lactée, à Lausanne.

> Cofondateur et membre de l’association Atadamoun, qui gère un centre d’enfants en situation de handicap au Maroc, en collaboration avec l’Eglise catholique locale.

> Divorcé, père de deux enfants.

> Conseiller général de Romont de 2007 à 2011, date à laquelle il s’est installé à Lausanne. SZ

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