La Liberté

Un délicieux retour au temps de l’enfance

Série d'été - Lieux insolites où dormir (3/5) - Aventure nocturne • Passer une nuit sur la paille à l’Auberge Sur la Côte de Souboz, près de Moutier, c’est faire l’expérience de l’immersion dans l’enfance, de la déculturation, du dépouillement. Le bonheur, simplement.

La ferme qu’exploitent Marie-Rose et Ernest Christen baigne dans une atmosphère de bout du monde. © Stéphane Gerber
La ferme qu’exploitent Marie-Rose et Ernest Christen baigne dans une atmosphère de bout du monde. © Stéphane Gerber
Dans les chambres, on dore sur la paille. © DR
Dans les chambres, on dore sur la paille. © DR

Eugenio D’Alessio

Publié le 23.07.2014

Temps de lecture estimé : 8 minutes

«La vie que nous appelons heureuse occupe les hauteurs et, comme dit le proverbe, étroite est la route qui y mène.» Après avoir roulé le long d’un chemin forestier crevassé de nids-de-poule, cette réflexion de Pétrarque, poète excursionniste toscan du XIVe siècle, électrise l’esprit au moment de découvrir, les mirettes admiratives, l’Auberge Sur la Côte.

Agrippée à sa colline au-dessus de Souboz, à 950 mètres d’altitude, cette perle de l’agritourisme du Jura bernois - elle offre des nuitées sur la paille depuis 1997 - distille un silence d’une puissance irréelle, presque cosmique, pour le visiteur habitué à l’agitation des villes. Hormis le léger bruissement du vent, les grognements intermittents des porcelets et les aboiements amicaux du bouvier bernois Dolly, la ferme qu’exploitent Marie-Rose et Ernest Christen baigne dans une atmosphère de bout du monde, d’isolement à la fois vivifiant et réparateur. Nul hasard si elle attire chaque année une centaine de citadins avides de calme, de grand air et de mets rustiques.

Majestueux belvédère

Et, magie de la nature, l’Auberge Sur la Côte forme comme un majestueux belvédère sur le Petit-Val et ses villages, Monible, Châtelat, Sornetan, Bellelay et son abbatiale baroque tricentenaire. Propice au rêve et à l’imaginaire, le souffle pictural du paysage jurassien fascine. La douceur verdoyante du Petit-Val, ses crêtes en forme de vaguelettes coiffées de résineux auraient, c’est sûr, fait la joie des impressionnistes, Sisley et Monet en tête. Et aux confins du domaine des Christen, la vertigineuse vue plongeante sur les gorges du Pichoux achève de réjouir les sens.

Quel meilleur hors-d’œuvre que ces nourritures esthétiques et paysagères avant de prendre place sur la paille pour cette aventure nocturne. Située au premier étage, au-dessus de l’écurie, évidemment vide en période estivale, la chambre, qui peut accueillir une dizaine de personnes, est d’une banalité rassurante. Sacs de couchage, couvertures militaires, photos animalières exhalent un climat rustico-spartiate bon enfant qui, sans respirer une authenticité débordante, n’a rien d’artificiel.

Une sagesse rieuse

«Sous la couette de paille, il faut aménager son nid», avait averti Ernest Christen avec une sagesse rieuse et ironique teintée de pragmatisme qui distingue ce géant débonnaire toujours enclin à dégainer un mot d’esprit. C’est vrai, le visiteur peu coutumier des réalités campagnardes explore son nouveau territoire avec la retenue de l’oiseau sans plumage. Armé de cette délicatesse un brin naïve que lui impose l’entrée dans ce pieu herbeux, si incongru et peu hospitalier de prime abord, il s’installe par tâtonnements en quête de la meilleure position.

Dans un premier temps, la fraîcheur du gîte repousse les bras de Morphée, le parfum de la paille enivre les narines, les craquements du bois poinçonnent la conscience, la lumière lunaire taquine les paupières harassées par la frénésie de randonnées.

Une fois franchies ces agréables barrières anti-sommeil, autant dues à l’effet de surprise qu’au contact de l’inconnu, le dormeur à moitié éveillé frissonne d’émotions chatoyantes, blotti dans cette paille qui se transmute, magique alchimie, en literie ô combien soyeuse, accueillante, presque jouissive. Et des souvenirs d’enfance accompagnent cet embarquement sur le carrousel des rêves.

La paille en guise de matelas, c’est un peu la redécouverte archétypale du contact avec le sol, la douce réminiscence d’une époque où se rouler par terre, se vautrer sur les tapis d’appartement, le sable des places de jeux ou l’herbe des jardins relevait du rituel ludique, de la suprême félicité. Une sorte de bonheur primitif où le luxe se confondait avec la simplicité.

Bon pour le dos!

Expérience d’immersion dans l’enfance, de déculturation, de dépouillement, au sens étymologique du terme, voire de déshabillage culturel et mental, la nuitée sur la paille brille, de surcroît, par ses vertus thérapeutiques. «Elle permet de combattre le mal de dos!», clame Ernest Christen sur la foi de moult témoignages de clients. Dame! Moins saugrenue qu’elle n’y paraît, cette affirmation n’est pas loin de la vérité, puisqu’au réveil, le citadin se sentait presque aussi frais qu’un gardon…

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Des anecdotes à foison en dix-sept ans d’exploitation

«Je me souviens de ces deux potes romains qui n’avaient jamais vu une vache et que j’ai initiés à la traite ou de ces hôtes japonais qui avaient demandé à goûter à toutes les spécialités en un seul repas, comme il était de coutume en Asie! Dans un autre registre, j’ai accueilli l’arrière-petite-nièce d’Henri Dunant.» Ernest Christen, exploitant de l’Auberge Sur la Côte - la ferme appartient à la Bourgeoisie de Souboz -, fourmille d’anecdotes savoureuses à l’heure d’évoquer la riche et longue histoire de son gîte rural. «Avec mon épouse Marie-Rose, nous avons démarré notre activité agritouristique en 1997. A l’époque, nous recherchions un revenu accessoire et nous voulions répondre à la requête de nombreux randonneurs. Ils avaient baptisé notre région «le tour de la soif» pour se moquer un peu de l’absence de restaurants», poursuit, dans un éclat de rire, le natif de Courrendlin aux origines emmentaloises.

L’Auberge Sur la Côte dispose de deux chambres traditionnelles de six places et d’un local pour dormir sur la paille, lequel peut accueillir une dizaine de personnes. Elle abrite également un restaurant fort de trente couverts, «où nous servons en priorité un rôti de bœuf et de porc fait maison ainsi que des côtelettes de porc à l’ancienne, avec du saindoux, le tout accompagné de röstis», explique Ernest Christen. Mais la grande fierté de cet athlétique boute-en-train, ce sont les salades mêlées, «des produits frais issus de mon jardin potager qui font toujours forte impression auprès des visiteurs». Les clients? «Il s’agit, pour la plupart, de citadins de Bienne, Neuchâtel, Genève, du Valais, du Tessin ou de Suisse alémanique, qui viennent en couple pour un week-end. Ils s’adonnent au tourisme doux à la découverte du Petit-Val, une région encore méconnue, ou des Franches-Montagnes», enchaîne celui qui fut maire de Souboz entre 1991 et 2006.

Quant au domaine agricole proprement dit, spécialisé dans la culture herbagère pour nourrir le bétail, il s’étend sur 30 hectares de prés et de pâturages. Il compte 21 vaches nourrices, une douzaine de cochons, engraissés pour les besoins du restaurant, deux vieilles juments, un âne et une flopée de lapins et de poules. Sans oublier Dolly, le fidèle et chaleureux bouvier bernois. eda

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Belles randonnées

La ferme de la famille Christen, située en territoire bernois mais très proche de la frontière jurassienne, se trouve au confluent de nombreuses et belles balades. A proximité du gîte, on peut citer la vue magnifique sur les gorges du Pichoux ainsi que le sentier de la Chapelle des chèvres, un ancien lieu de culte mennonite. Les plus audacieux ou les plus sportifs jetteront leur dévolu sur des randonnées plus longues: Montagne de Moutier, Les Ecorcheresses, Roches, Sornetan, Bellelay, dont on fête le Tricentenaire de l’abbatiale, la Tour de Moron, à 1336 m d’altitude, qui offre un sublime panorama à 360 degrés. L’ouvrage en pierre calcaire, conçu par Mario Botta, célèbre cette année ses dix ans. Il est par ailleurs possible de rejoindre en une heure et demie Undervelier, dans le canton du Jura.

A ne pas manquer le lac Vert, qui a émergé dans une ancienne carrière, d’une beauté à couper le souffle. On peut y accéder de Champoz ou de Court. Propriété privée, ce petit lac enclavé se visite avec une certaine discrétion. EDA

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REPÈRES

L’auberge Sur la Côte

> Adresse et coordonnées: Auberge Sur la Côte, famille Christen, 2748 Souboz. Tél: 032 484 92 26. E-mail: fam.christen@sur-la-cote.ch. Site internet: www.sur-la-cote.ch
> Comment s’y rendre: Prendre l’A16. Sortie de Moutier en direction de Tavannes. Au rondpoint, emprunter la direction Perrefitte-Bellelay. Traverser Perrefitte. Au hameau Les Ecorcheresses (environ 5 km avant Souboz), bifurquer à droite. Monter jusqu’à l’entrée de la forêt, puis suivre les écriteaux Auberge Sur la Côte.
> Coordonnées GPS: 47.2828°N 7.2382°E.

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