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Justice: Deux paysans jugés pour du bétail manquant

Les démêlés de deux agriculteurs gruériens avec des contrôleurs du canton finissent devant la juge.

Les agriculteurs ont manqué de rigueur dans l’enregistrement de leur bétail. © Alain Wicht-archives
Les agriculteurs ont manqué de rigueur dans l’enregistrement de leur bétail. © Alain Wicht-archives

Charles Grandjean

Publié le 16.04.2024

Temps de lecture estimé : 6 minutes

Ces deux paysans gruériens n’ont certainement pas l’habitude de compter leur cheptel pour s’endormir. Ils ont comparu mardi devant le Tribunal de la Gruyère pour détention non conforme, ainsi que pour des animaux non identifiés et non enregistrés, en contravention de la loi fédérale sur la protection des animaux et celle sur les épizooties.

La liste des manquements établie par le Service de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (SAAV) à l’issue d’un contrôle en juillet 2023 est plutôt fournie: douze veaux sans accès à de l’eau en permanence; dix veaux de plus de deux semaines sans foin ni râtelier; cinq veaux de plus de vingt jours sans marques auriculaires; vingt bovins (dont deux décédés) pas enregistrés dans la banque de données sur le trafic des animaux (BDTA); une vache présente sur l’exploitation alors qu’enregistrée comme décédée; et douze bovins absents du site mais enregistrés comme présents.

Mauvais décompte

«Lors de la naissance, j’enregistre la bête. Là, je n’étais pas pile dans les délais, je reconnais», a concédé le plus âgé des deux associés devant la juge de police Frédérique Bütikofer Repond. Le prévenu, qui s’est présenté comme le responsable du jeune bétail, a expliqué sa manière de procéder aux inscriptions par tirs groupés, invoquant notamment ses allées et venues entre son exploitation et l’alpage. «Je m’occupe des naissances quand je descends du chalet.»

«J’attends d’avoir une dizaine de naissances pour enclencher l’ordinateur.» Le chiffre de 20 bovins non enregistrés proviendrait d’une estimation erronée, selon le paysan. Qui soutient que seulement 4 ou 5 auraient été inscrits hors délais. «Ma foi, c’était les plus âgés. Mais c’est une question de quelques jours.»

«C’est une question de quelques jours»
L’agriculteur

La présence d’une vache fantôme dans la base de données, alors que présumée morte depuis plusieurs années, trouble. «Je pense que celle-ci est partie à la boucherie. Je ne comprends pas car la boucherie doit aussi entrer le numéro de la bête», s’interroge l’agriculteur, invoquant un bug informatique.

Quid des douze bovins absents? «Il doit s’agir des douze veaux qui se trouvaient à la nurserie. Or, le jour de contrôle, le SAAV n’a contrôlé que l’infirmerie et l’employé n’a pas su que ces veaux se trouvaient un peu plus loin à la nurserie», explique le plus jeune associé. «Ou alors ces bovins venaient de partir à l’alpage. Dans ce cas, nous avons trois jours pour annoncer le déplacement dans la base de données», complète son aîné. Et de mentionner au passage que l’employé, seul lors de la visite du SAAV, aurait donné sa démission. «Il n’a pas supporté tous ces contrôles.»

Sur la défensive

L’agriculteur se défend aussi d’avoir laissé des veaux sans foin ni râtelier. «On leur donne le foin le long de la barrière. Les bêtes dehors mangent bien par terre. Quand ils disent 10 veaux, ils comptent les 8 box de l’infirmerie et les veaux dans les petits box à côté», poursuit-il en décrivant la disposition des différents box. «J’aurais dû faire une vision locale», concède alors la juge.

L’agriculteur revient aussi sur un contrôle en février 2023. «On a posé de l’eau pour qu’ils (les contrôleurs, ndlr) nous fichent la paix. Maintenant, on nous dit qu’il n’y a pas assez de débit.» Il reconnaît en outre qu’il n’y avait pas d’eau à l’infirmerie lors de certains contrôles. «Pour ma part, j’estime qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait de l’eau à l’infirmerie, car les veaux doivent boire encore du lait.»

Contrôleurs pointés

Puis l’homme de plaider le pragmatisme: «La loi est une chose, mais la pratique une autre. Il n’est pas toujours facile de manier les exigences au mètre carré et en âge avec la réalité.» Le jeune associé estime que «quelque chose ne fonctionne pas dans la procédure de contrôle du SAAV. On devrait pouvoir discuter les choses en direct pour que cela soit constructif.» Aucun représentant du SAAV n’était présent à l’audience pour donner la réplique (lire ci-dessous).

La présence d’un veau trop âgé dans un box de l’infirmerie aurait été pointée lors d’un contrôle. «Son âge dépassait de deux jours l’âge limite», affirme le paysan proche de la cinquantaine. Il dépeint un veau encore avec une perfusion. Malgré cela, les agriculteurs auraient «suivi à la lettre les recommandations du SAAV» en le déplaçant à la nurserie. «Ce veau est décédé deux jours après», déplore-t-il, sans que la cause de la mort ne soit pour autant établie.

En fin d’audience, le plus jeune s’est plaint d’une «surcharge administrative» qui pèserait sur une profession constamment soumise à de nouvelles normes. «On prend un temps phénoménal à écrire des e-mails, remplir des documents. Pendant ce temps, on ne fait pas notre boulot.» Puis d’ajouter: «Il y a toujours moins d’agriculteurs et toujours plus de contrôles.»

Son collègue, qui a endossé les responsabilités, a finalement retiré son opposition à l’ordonnance pénale en fin d’audience, pour des raisons pécuniaires. Il s’expose toutefois à une amende de 600 francs, et à quelque 170 francs de frais de dossier et d’émolument.

Le service vétérinaire se défend et rappelle la loi

Bien qu’accusés, les deux paysans n’ont pas hésité à contre-attaquer en faisant aux contrôleurs du SAAV de multiples griefs: chiffres grossis, confusion entre nurserie et infirmerie, excès de zèle ou encore manque de dialogue. Interpellé, le service réfute les reproches. «Dans le cas présent, il n’est pas question de formalisme mais de contrôles de suivi pour des manquements récidivants», répond Grégoire Seitert. «Vu les récidives, il ne s’agit pas ici d’un problème de dialogue.» Le vétérinaire cantonal indique que certains manquements concernant l’eau et la gestion de la base de données remontent même à 2019.

«Infirmerie ou nurserie ne change rien quant aux exigences légales: les dimensions doivent jouer dans les deux cas, l’eau doit être à disposition dans les deux cas, les râteliers de foin doivent être à disposition dans les deux cas.» L’eau doit même être à disposition en permanence et en suffisance, rappelle le SAAV, qui se réfère à l’ordonnance sur la protection des animaux. Les igloos et les box d’infirmerie ne dérogent pas à la règle. «Le lait ne remplace pas l’eau, la législation est claire concernant ce point», précise le vétérinaire cantonal. Pour ce dernier, «il s’agit bien de remettre en conformité au droit une situation avec manquement, de manière impartiale et neutre».

«Il est de la responsabilité de l’exploitant d’assurer les soins nécessaires à ses animaux et d’en assurer également le suivi», souligne-t-il. Le vétérinaire cantonal rappelle d’ailleurs que dans le cadre de la campagne d’éradication de la diarrhée virale bovine, «il est primordial de boucler les veaux assez vite», dans un délai de 20 jours après la naissance. Cela, alors que l’agriculteur a mentionné 28 jours devant la juge.

«Nos contrôleurs se donnent beaucoup de peine pour suivre l’évolution législative, son application pragmatique sur le terrain et accomplir les inspections qualitativement et professionnalisme», défend encore le vétérinaire cantonal. Qui assure que la fréquence des contrôles de base reste la même.

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